L’origine socratique du mode de vie cynique
Par Luis Paz.
RÉSUMÉ: La présente étude vise à approfondir l’héritage socratique dans le mode de vie cynique. Bien que certaines des caractéristiques socratiques n’aient pas été pleinement adoptées par les cyniques, nous verrons que l’indiscutable forte influence socratique conduira la recherche d’un côté à une description sommaire des valeurs principales qui régissent le mode de vie des premières cyniques, soit les mêmes valeurs qui seront aussi la base, plus ou moins respectée, du cynisme qui se développera plus tard dans la période impériale. Ensuite, d’un autre côté, elle nous montrera aussi certes aspects d’un Socrate de chair et de sang, plus proche de suivre la voie vers la vertu à travers les actes dans le présent que de l’intellectualisme du Socrate platonicien qui nous est plus familier, en raison de l’approche plus abstraite et théorique de la philosophie académique moderne[2].
Nous commencerons d’abord par une brève, mais essentielle introduction au contexte social de l’Athènes de Socrate et les premières cyniques ainsi qu’à la problématique des sources : Le mouvement cynique tout comme le Socrate de Xénophon ont été omis par l’historiographie et par la philosophie occidentale, et malheureusement, ils ont tous deux étés à peine théorisés. Nous verrons également la répercussion immédiate du mode de vie socratique, notamment dans les figures d’Antisthène et de Diogène.
Ensuite, la deuxième partie se concentrera sur la description des qualités avec lesquelles Xénophon décrit Socrate dans ses Mémorables. Comme nous le verrons, cette description de l’ischus socratique, que Goulet-Cazé identifie comme volonté, sera le cœur de la philosophie pratique menée par les cyniques et plus tard par les stoïciens. La figure du sage cynique, son esthétique et son mode de vie, seront orientés à partir des valeurs socratiques de force et d’autarcie décrites par Xénophon.
Puis, la troisième partie décrira huit qualités du mode de vie cynique, à partir des conclusions tirées de la comparaison avec Socrate, tout en suivant le guide des grands érudits en la matière, tels que Hadot, Goulet-Cazé, Husson ou Foucault, et les sources et témoignages de Platon, Xénophon, ou Diogène Laërce, entre autres.
Finalement, nous terminerons par une brève conclusion qui servira de résumé des notions qui ont fait partie de cette présente étude.
« J’en suis, en effet, à cette heure de la vie où les êtres humains sont les plus aptes à faire des prophéties, au moment où ils vont mourir. Je vous prédis en effet, citoyens, vous qui m’avez condamné à mort, que vous aurez à subir, tout de suite après ma mort, un châtiment beaucoup plus pénible, par Zeus, que celui auquel vous m’avez condamné en me condamnant à mort. En agissant ainsi aujourd’hui, vous avez cru en effet vous libérer de la tâche de justifier votre façon de vivre; or, c’est tout le contraire qui va vous arriver, je vous le prédis. Il augmentera le nombre de ceux qui vous demanderont de vous justifier, et que je m’employais à retenir sans que vous vous en rendiez compte. Et ils seront d’autant plus agressifs qu’ils seront plus jeunes, et ils vous irriteront davantage. »[1]
[1] Platon. Apologie de Socrate 39b-e. GF Flammarion. Paris, 1997. P. 123
I. Résumé de la figure de Socrate : contexte social, sources et héritage
Diogène Laërce affirmait que Socrate fut le premier à marquer ses contemporains avec son mode de vie[3]. En effet, Socrate a certainement ouvert la voie à une nouvelle façon pratique de comprendre la philosophie en tant qu’option existentielle : une manière de vivre choisie qui exige une conversion, un retournement ou un changement de direction, c’est-à-dire une réforme de sa propre existence[4]. La vie du philosophe est donc orientée vers l’excellence morale: une vie sans examen ne vaut pas la peine d’être vécue, dira le Socrate de Platon[5]. Toutefois, ce message moral socratique s’interprète de deux manières très différentes. L’héritage est divisé en deux tendances, la plus théorique ou abstraite -celle des grandes socratiques, Platon et Aristote- et celle qui mettra l’accent sur la pratique et le mode de vie. De cette seconde tendance, « la voie la plus courte vers la vertu », Antisthène[6], le père du cynisme, est le disciple socratique qui aurait hérité plus directement du mode de vie de son maître. Les autres disciples de cette voie courte qui ont créé des écoles, sont Euclide de Mégare (fondateur de l’école philosophique de Mégare) et l’hédoniste Aristippe de Cyrène, prédécesseur de l’épicurisme[7]. Par ailleurs, le stoïcisme naîtra plus tard du cynisme[8], mais il récupèrera à la fois l’intellectualisme socratique[9]. La relation complexe du stoïcien avec le cynique représente bien le concept du miroir brisé dont parle Foucault à propos du cynisme. Le stoïcien reconnaît et admire son maître cynique, mais à la fois refuse la radicalisation de son mode de vie : « en même temps donc que les philosophes se reconnaissent si facilement dans le cynisme, ils s’en démarquent très violemment par une caricature repoussante. »[10]
Cette origine cynique et socratique du stoïcisme est la raison pour laquelle de nombreuses caractéristiques cyniques explorées dans cette étude pourraient être considérées comme partie tournantes des racines socratiques du stoïcisme. Le cynisme nous apparaît donc comme la branche socratique la plus fidèle à l’approche pratique de son maître, voire possiblement la plus influente dans la pensée hellénistique[11]. Même à l’époque impériale, le cynisme et le stoïcisme auront encore une grande influence culturelle et sociale dans la société gréco-romaine. L’héritage socratique dont nous traitons dans cette étude est évident avec un accent plus important porté autant sur les premiers cyniques que les derniers au moment où ils reviennent dans l’espace politique de la Rome impériale.[12]
Le genre de vie de Socrate a exercé une influence décisive sur la société athénienne. Par ailleurs, Diogène et les cyniques le voyaient comme l’exemple de l’excellence morale à suivre. Socrate représentait avant tout un modèle de vie vertueuse et une voix franche de critique contre une moralité populaire irréfléchie, vraisemblablement « de plus en plus obsédée par les faux désirs et les plaisirs de la richesse matérielle »[13]. Cet aspect critique et révolutionnaire de Socrate est essentiel pour comprendre l’origine du cynique qui est intimement lié à la vie et à la mort de Socrate, à son moment historique, à ses actions et à son mode de vie, c’est-à-dire à Socrate en tant qu’individu. Au cours de ses 70 ans d’existence, Socrate (470 – 399 av. J.-C.) a vécu une période de forts changements politiques et sociaux[14].
Le processus et la condamnation de Socrate sont souvent considérés comme des points marquants de la philosophie occidentale. Ces événements ont donc suscité un nombre infini de commentaires, et ont été souvent utilisés par les détracteurs du régime démocratique[15] ainsi que par les défenseurs du monothéisme[16]. La démocratie athénienne de cette période apparait aux yeux de ces voix critiques comme « réactionnaire ». Par conséquent, les courants antidémocratiques, parmi lesquels figure Socrate, sont qualifiés de révolutionnaires.[17] À cette époque, la cité vivait spirituellement d’héritage, dont la religion d’État faisait partie. Ce fut lorsque le gouvernement de Périclès (-449 au -429 av J.-C.) était au pouvoir que le décret interdisant la spéculation sur les choses divines a été rédigée. Cela a conduit à permettre l’accusation d’asebeia[18]ou d’impiété, ainsi que la peine de mort. L’accusation de Mélétos a donc un motif religieux, puisque le philosophe est accusé de ne pas reconnaître les dieux de la cité et d’avoir introduit de nouvelles divinités, mais elle vise en même temps la spécificité de la pratique pédagogique socratique, accusée de corrompre la jeunesse athénienne. La condamnation de Socrate, comme dit P. Ismard, ne peut enfin s’expliquer sans un examen précis des particularités de la procédure juridique athénienne[19].
À la suite de la tyrannie des 30, la restauration de la démocratie n’a pas pu résoudre un problème persistant que Micheline Sauvage identifie comme la sclérose de la conscience publique. M. Sauvage observe aussi que les collectivités de l’époque comme elles vivaient dans le malheur, réclamaient des mises au pilori et un bouc émissaire. Une personne critique comme Socrate était alors « tout désignée » à une fin tragique[20]. Le fait que c’était une société en crise aux valeurs fortement conservatrices devient un facteur clé pour comprendre l’impact du message socratique. Cependant, la condamnation de Socrate nécessite une analyse plus complexe qui dépasse le cadre de la présente étude. Tel que souligne P. Ismard, il n’existe dans la culture contemporaine qu’un seul Socrate, celui construit par la littérature platonicienne et consacré dans le souvenir commun par l’enseignement de la philosophie[21]. Une analyse rigoureuse nécessiterait donc de savoir mettre de côté la perspective platonicienne, ensuite de comprendre le fonctionnement de la démocratie directe « à l’Athénien » (très différente des démocraties indirectes ou représentatives de nos jours), d’analyser aussi le comportement de Socrate (son arrogance pendant le processus[22]), en plus d’étudier l’aspect critique de la philosophie politique socratique à l’égard des valeurs fondatrices du régime démocratique athénien[23].
Socrate exigera de ses citoyens à maintes reprises un exercice d’autocritique, remettant en question les tâches les plus courantes de la société. Cet impact est encore plus fort, si nous prenons en compte l’origine divine de sa mission.[24] Les exemples du choc de son exercice de parrêsia contre le fort conservatisme social sont nombreux dans toutes les sources dont nous disposons.[25] Ceci vient corroborer que le bouc émissaire était déjà « tout désigné »[26]. Mais tel qu’anticipé par le Socrate de Platon dans l’Apologie – voir la citation qui ouvre la présente étude –, sa mort, loin de mettre fin au questionnement aux citoyens par la justification de leur mode de vie, vint supposer au contraire la propagation de son message révolutionnaire mais avec plus d’élan encore. Cet effet se sent surtout auprès des cyniques, qui prennent bonne note de leur maître à propos de cette confrontation vers l’establishment social dans leur justification de l’excellence morale. Platon, par la voix de Socrate, citera « plus agressifs (…), et ils vous irriteront davantage[27] ».
Tel que nous l’avons mentionné dans l’introduction, le mouvement cynique a été omis de l’historiographie occidentale ce qui a également affecté l’élucidation de l’influence socratique chez Antisthène et ses disciples plus tard. Comme le souligne Susan Prince[28], ce que nous pouvons retrouver de l’éthique d’Antisthène dans l’abstrait reste étonnamment non théorisé (à l’opposé, par exemple, du système des valeurs bonnes et indifférentes tracées par Long [1988: 164-71] au Socrate hérité par les premiers stoïciens). Il faudrait aussi ajouter à ce manque de documentation et sa propre véracité[29], le problème des sources à propos de Socrate auquel nous sommes confrontés.[30]. Léon Brunschvicg dit aussi avec humour, « tout contribue à faire de la connaissance de Socrate lui-même un thème d’ironie socratique. La seule chose que nous sachions sûrement de lui, c’est que nous ne savons rien.[31]». Une note sans doute exagérée, mais qui reflète bien la difficulté relative aux sources et le besoin de compléter le portrait du personnage, en se laissant guider par une certaine intuition, forcément subjective, qui donne sens aux différentes pièces du puzzle. Les principales sources dont nous disposons sur Socrate sont les Nuées d’Aristophane[32], les Mémorables de Xénophon, et les dialogues de Platon, dans lesquels Socrate joue le rôle du personnage principal, celui qui incarne la vie philosophique. Parmi les dialogues de Platon, les sources pertinentes à notre étude du Socrate historique présenté comme homme réel sont l’Apologie, Criton et Phédon. Comme nous le verrons, l’approfondissement dans l’étude de l’héritage socratique dans le mode de vie cynique éclaire une dimension plus proche de l’homme Socrate. Les sources de Xénophon ainsi que celles des cyniques nous inviteraient à percevoir un Socrate plus réel que celui de Platon[33]:
« On dit aussi que Socrate ayant entendu Platon lire le Lysis s’écria : « Dieux ! que de choses ce jeune homme me prête ! » Et en effet, il a mis sous le nom de Socrate beaucoup de choses que celui-ci n’a jamais dites. »[34]
Platon voyait Diogène comme un Socrate devenu fou[35]. Il semble donc reconnaître, si cette citation est vraie, que Diogène suit une ligne socratique, mais qui à ses yeux va trop loin, dans une radicalisation du mode de vie de Socrate. Comme le dit Susan Prince [36], bien que le lien personnel entre Antisthène et Diogène ait été contesté, il est clair que Diogène s’est consciemment modelé comme un nouveau Socrate, et qu’il aurait donc eu besoin d’inspiration et d’informations sur Socrate d’une source quelconque[37]. Cette radicalisation du mode de vie socratique dans le cas de Diogène est également perçue dans la vision communément admise de la philosophie d’Antisthène[38].
Bien sûr, il y a aussi des éléments dans lesquels Socrate et les premiers cyniques diffèrent profondément[39], or l’héritage socratique demeure indiscutable. Pour les cyniques, Socrate est le guide, l’exemple à suivre. Nous verrons comment les piliers de la pensée cynique reposent sur des attitudes et des manières clairement socratiques d’agir. Il y a une force socratique, un ischus[40], à la fois physique et spirituel, que les cyniques essaient d’imiter, d’un côté en s’appuyant sur les modèles d’Héraclès, comme un aspect mythique, et d’un autre côté avec Socrate, comme un véritable modèle de chair et de sang. Cette même force socratique, Σωκρατικῆς ἰσχύος, est interprétée par Goulet-Cazé comme volonté, une volonté qui sera la source des valeurs socratiques décrites par Xénophon et qui, comme nous l’expliquerons, sont à la base du mode de vie cynique et plus tard du stoïcien. [41]
II. L’ischus du Socrate de Xénophon
Ce concept de Σωκρατικῆς ἰσχύος devient clé dans l’ascèse cynique exercée dans la lutte contre les ponois, c’est-à-dire contre les souffrances qui sont le lot de notre humanité, les difficultés physiques et passionnelles, les maladies ou la mort. Pour cette raison le cynique accorde toute l’importance aux actes plutôt qu’au discours. Cette force socratique, cette volonté, qui sera comme nous avons dit la base du mode de vie cynique, en commençant par son disciple Antisthène, se trouve décrite dans le Socrate des Mémorables de Xénophon. Il est donc approprié de consacrer une section exclusivement à cette description qui a eu une telle influence dans les écoles hellénistiques ultérieures. Goulet-Cazé l’explique de la façon suivante :
« Parce qu’il avait dû être subjugué par le témoignage puissant de la personnalité de Socrate, Antisthène, dans sa façon de concevoir le bonheur, tint, quant à lui, à accorder une place spécifique à l’ischus socratique. Mais il ouvrit ainsi la brèche ou devait s’épanouir librement la morale de ce « Socrate devenu fou » que fut Diogène. C’est ainsi que l’entraînement aux ponois allait devenir pour tout le cynisme postérieur « le court chemin vers la vertu ». »[42]
Xénophon, dans ses Mémorables, donne plus d’indices que Platon sur l’aspect cynique de Socrate[43]. Dans ces écrits, nous trouvons trois qualités sur lesquelles son Socrate fonde la vertu -l’enkrateia, la karteria et l’autarkeia – et qui seront transmises entièrement aux cyniques, à travers Antisthène. Selon Dorion et Goulet-Cazé, ces qualités représentent une différence marquée entre le Socrate platonicien et le Socrate de Xénophon[44]. Dans l’autarkeia, la troisième qualité qui englobe les deux précédentes[45], nous verrons l’un des héritages socratiques les plus évidents du cynisme, ce qui suppose aussi une distanciation nette avec la philosophie platonicienne concernant la vision de l’homme et sa projection sociale dans la politeia. Comme l’explique Suzanne Husson, pour Platon et Diogène, l’homme, en tant que partie de la nature[46], possède une nature propre, « mais qu’il doit perpétuellement gagner et reconquérir, comme s’il devait démontrer qu’il est digne de la posséder, qu’il est lui-même à la hauteur de son humanité. »[47] Nous observons une différence de vision entre les deux. Platon voit l’homme comme le seul être sensible à ne pas posséder immédiatement sa propre nature, le signe de sa suprématie : l’homme orienté vers une surnature qui constitue la réalité intelligible. Or, Diogène ne déduit aucune supériorité ontologique. Au contraire, « il s’agit avant tout d’imiter ce par quoi les animaux sont des possesseurs accomplis de leur propre nature, c’est-à-dire leur autarcie. »[48] L’autarkeia socratique[49] devient donc le mode de vie par lequel le cynique attend de la nature non seulement la satisfaction de ses besoins fondamentaux, mais plus encore une réponse à la question de l’essence de l’homme.
Comme nous l’avons expliqué, cette description que Xénophon fait de Socrate nous révèle la base de ce que sera après le mode de vie cynique. Diogène Laërce nous dit qu’Antisthène a hérité l’endurance (to karterikon) et l’impassibilité (to apathès) de Socrate, ouvrant ainsi la voie au cynisme.[50]
Les caractéristiques dont le cynisme hérite de ce Socrate autarcique sont donc relatives à son ischus, à sa force intérieure. Ainsi, Antisthène représente dans Héraclès la figure idéalisée du cynisme[51]. Les preuves d’Héraclès, dans cette perspective cynique, sont venues à symboliser les épreuves que l’âme rencontrent sur la voie de la vertu. Comme pour Socrate, Antisthène fait appel à l’exemple d’Héraclès pour soutenir que le ponos est un bien et par le fait même énoncer ce principe fondamental de sa morale que le telos est de vivre selon la vertu. Analysons ces trois caractéristiques herculéennes du Socrate de Xénophon qui deviendront aussi l’essence du mode de vie cynique:
- Enkrateia[52] (ἐγκράτεια). Xénophon nous désigne un Socrate qui se maîtrise très bien, et peut vaincre ses désirs. L’enkrateia est présentée comme une condition nécessaire pour atteindre la vertu. “Xenophon asserts that enkrateia is the foundation of virtue (1.5.4), i.e. the necessary condition of acquiring and practicing it.”[53] “Enkrateia is thus the precondition for any learning or practice that may help in the development of virtue. Only once the soul is in full possession of itself and masters the pleasures that press it to satisfy them, does it meet all the conditions for becoming virtuous. ”[54]
Comme le fait remarquer Dorion, l’enkrateia est l’une des caractéristiques essentielles du Socrate de Xénophon, qui, cependant, apparaît à peine dans le Socrate platonicien[55]. Elle est sans aucun doute l’un des éléments socratiques les plus évidents du mouvement cynique primitif, en s’éloignant de l’intellectualisme du Socrate platonicien. Goulet-Cazé explique que « l’abandon de l’intellectualisme se trouve dès lors consommé, puisque la vertu-connaissance ne saurait prétendre se réaliser sans l’enkrateia; celle-ci par conséquent est devenue une condition sine qua non de l’acquisition de la vertu. »[56]
- karteria[57] (καρτερία). Xénophon décrit un Socrate qui soutient les éléments, un Socrate qui est résistant. C’est une résistance physique qui est atteinte en faisant face à l’adversité, en s’entraînant dans l’exercice physique. Cette caractéristique socratique apparaît dans les premiers dialogues de Platon. Dans son Éloge de Socrate, Pierre Hadot lie cette capacité de résistance à la force d’Éros: « Quant à la robustesse d’Éros, on la retrouve dans le portrait de Socrate aux armées que trace Alcibiade : il résiste au froid, à la faim, à la peur, tout en étant capable de supporter aussi bien le vin que la méditation prolongée »[58]. La karteria est réalisée par l’effort, qui dans le cas des cyniques sera exprimé par les ponois. Les cyniques proposent un retour à la vie naturelle, toujours sous le contrôle de la raison, une vie naturelle qui s’identifie à l’exercice de la vertu, qui se réalise par l’effort, à travers de ces ponois: « Le ponos, en effet, peut s’entendre tout d’abord en un sens passif : il s’agit de l’épreuve douloureuse qui est imposée à l’individu soit par le sort, comme lorsque Diogène fut exilé de Sinope, soit par un autre cynique, par exemple lorsque Cratès imposa a Zénon de transporter un plat de lentilles . » [59]
- Autarkeia[60] (αυτάρκεια). Tel qu’il est noté par Dorion, cette troisième caractéristique du mode de vie socratique doit contenir les deux précédentes afin de se réaliser. L’autarcie de Socrate apparaît comme un lieu commun de tous les témoignages[61], tous la décrivent comme la principale caractéristique socratique par rapport à son mode de vie. Il apparaît toujours comme un homme de caractère et de force physique qui résiste à la faim, marche pieds nus en hiver[62]. Il n’avait besoin de personne ou de rien pour être heureux. Mais ce n’est pas une question de pauvreté, il n’a pas de chaussures, pas parce qu’il est pauvre, mais parce qu’il n’en a pas besoin. Comme dit Arendt, le seul critère de la pensée socratique est de demeurer en conformité avec soi-même[63]. Cette conception de la vie centrée sur les besoins naturels influence radicalement le mouvement cynique. Pour citer Goulet-Cazé : «C’est dans la réalisation de l’autarcie, dans l’indépendance de tous les domaines, donc dans la pratique de l’ascèse, que se façonne la figure du sage cynique. »[64]
Le tournant d’Antisthène vers une autarcie radicale comme précédent clair de ce qui serait une valeur centrale dans toutes les philosophies hellénistiques représente l’héritage direct de ce Socrate de Xénophon. D’autant plus, Diogène de Sinope[65] aurait dit qu’il est propre aux dieux de n’avoir besoin de rien, se débarrasser de certains désirs forme le côté négatif de la liberté cynique qui est souvent comprise comme sa caractéristique centrale. Alors que le côté positif de cette liberté est, cependant, également clairement énoncé et justifié dans le discours d’Antisthène, notre première preuve du rejet cynique des valeurs matérielles de la société : Antisthène nous dit que, sans souci du luxe ou des satisfactions du corps au-delà de ce qui est nécessaire, il a le loisir de construire la richesse métaphorique de son âme, en passant ses jours avec Socrate. Nous reviendrons sur l’importance de cette richesse métaphorique chez Antisthène dans la section III.8 de cette étude, Critique du discours dominant. Attitude révolutionnaire.
III. Caractéristiques socratiques du mode de vie cynique
Socrate a annoncé le cynisme avec son mode de vie. Son ischus, décrit par Xénophon dans la section précédente, se traduit par une mise en scène très caractéristique et un mode de vie qui auront un réel impact sur le mouvement cynique. Voici huit facettes de cette esthétique et de ce mode de vie, dans lesquelles cet héritage philosophique ressort de manière évidente.
- La vie mendiante et solitaire : L’atopos.
La frugalité de Socrate[66] est comprise par les cyniques comme une partie nécessaire de son ascèse et comme conséquence de l’autarkeia, provoquant une esthétique très caractéristique, marquée par la plus extrême simplicité. Socrate est pauvre, en effet il n’a qu’une tribôn[67]. Il se consacre plus aux citoyens qu’à ses intérêts personnels. Il est un être solitaire, différent et incomparable qu’on ne peut comparer à aucun homme, dirait Alcibiade dans le Banquet, tout au plus aux Silènes et aux Satyres[68].
La pauvreté devient donc un exercice nécessaire pour le cynique[69]. « La vie sans dépendance, se suffisant à elle-même, avait été dramatisée elle aussi dans la forme de la pauvreté et s’était retournée en une pratique de dépouillement volontaire, de mendicité et finalement même de déshonneur. »[70] La pauvreté de Socrate représente maintenant un ponos[71]chez les cyniques, d’une exigence qui a pour but d’accéder à l’indifférence des plaisirs et au contentement d’une vie frugale : « Cette volonté de se contenter de peu s’effectue dans une fidélité à Socrate parfaite et annoncée. Le fondateur Antisthène ainsi que son disciple Diogène de Sinope suivent à la lettre l’ascèse frugale de Socrate »[72]. Mais la pauvreté du cynique, en plus d’un ponos intérieur, constitue aussi un enjeu dans la société, une plainte, une alarme : cette image de pauvreté et d’autarcie cherche à révéler la futilité de la dépendance à la richesse matérielle, en essayant d’éveiller la conscience des citoyens. Foucault observe dans l’anecdote de la rencontre entre Diogène et Alexandre, décrite par Dion Chrysostome[73],en plus d’un exemple de parrêsia (Diogène demande seulement à Alejandro de s’éloigner, comme il le prive de la lumière du soleil), une dissymétrie totale entre les deux. Dans cette dissymétrie, nous pouvons apprécier l’appel à la conscience de l’attitude cynique: « Diogène, devant Alexandre, il est dans son tonneau, il ne dispose de rien, n’a ni armée, ni cour, ni alliés, ni quoi que ce soit. La monarchie d’Alexandre est donc une monarchie bien fragile et bien précaire, puisqu’elle dépend de quelque chose d’autre. Celle de Diogène au contraire est une monarchie indéracinable et qui ne peut pas être renversée puisque, pour l’exercer, il n’a besoin de rien. »[74].
Le caractère d’atopos[75] de la figure de Socrate et des cyniques est intimement lié à cette esthétique mendiante et solitaire[76], nous remarquons donc un fort parallèle entre les deux figures dans cet « être dehors », dans cet état purement naturel dehors de la culture et la civilisation. Le mot atopos signifie étymologiquement « hors de lieu » donc étrange, extravagant, absurde, inclassable, déroutant. Cette figure de Socrate comme Éros mendiant sera celle du philosophe cynique, celle de Diogène, errant sans feu ni lieu, avec son manteau et sa besace, ce « Socrate furieux », comme, semble-t-il, il se définissait lui-même.[77] Tandis que Socrate joue le rôle d’un daimon, un intermédiaire entre le divin et l’humain, le cynique se situe lui-même dans une hiérarchie dans laquelle la divinité est au sommet. La nature et les animaux seront au milieu où les cyniques essayent de se situer avec leur mode de vie autosuffisant. L’être humain se retrouva dès lors complètement en bas de la hiérarchie. Tous deux, Socrate et cyniques, sont donc « hors de lieu », à mi-chemin entre l’humanité et la divinité.
Nous pourrions explorer ce caractère d’éros-daimon chez les cyniques. Dans les deux cas, chez Socrate et chez les cyniques, nous ne sommes ni dieu ni homme, ni beau ni laid, ni sage, ni insensé, ni bon, ni mauvais. Nous sommes philo-sophe[78], amoureux de la sagesse, désireux d’atteindre un niveau d’être qui serait celui de la perfection divine [79].
- Héroïsme, force, et courage de ses convictions.
Ces caractéristiques font partie de l’héritage socratique déjà mentionné dans la section précédente, en particulier par rapport à la karteria (καρτερία) avec laquelle Xénophon décrit Socrate. Il reste à mettre en évidence, d’une part, le caractère athlétique et l’entraînement physique qui représente à la fois les cyniques et Socrate, et ce qui plus tard deviendra caractéristique des stoïciens, et d’autre part l’aspect héroïque et de foi en soi-même. Les métaphores et les anecdotes de Diogène de Sinope liées aux athlètes sont nombreuses. Notre témoignage anecdotique de Diogène de Sinope insiste sur les labeurs physiques auxquels il se soumettrait pour durcir son âme vers des circonstances extérieures de confort corporel[80]. Or, nous trouvons Socrate aussi décrit de la même manière par Xénophon.[81]
Il y a un héroïsme implicite dans la tâche philosophique de Socrate et des cyniques. Leur exercice de parrêsia et sa mise en jeu dans la société exigent du courage et du sacrifice. Socrate nous dit qu’un homme de valeur reste dans sa position quoiqu’il arrive.[82] Diogène aussi, illustre après Socrate qu’il faut être cohérent, avoir le courage de ses convictions afin de faire éclater la vérité aux yeux de tous ainsi que dans sa propre vie. Foucault signale alors que le projet de vie cynique prend un accent nouveau : les cyniques ont manifesté, non pas par le discours académique, mais par leur existence, ce qu’est une « vraie vie »[83]. Ceci est une posture socratique transmise aux cyniques: il est préférable d’être fidèle à soi-même, même si l’on est en désaccord avec la majorité.[84] De plus, chez les cyniques, cette foi en ses propres principes deviendrait même en soi un exercice vers la vertu. La vertu personnelle pour Antisthène et les cyniques s’exerçait à travers le ponoi et restait d’une certaine façon une défense ou un pouvoir de résistance contre l’interférence extérieure. Pour Antisthène, et voire même pour Diogène, cet exercice et ce travail ont au moins trois composantes, dont deux sont juxtaposées comme exercices physiques, gymnases, pour entraîner le corps et exercices mentaux, logoi, pour former l’âme[85].Cependant, en outre, Antisthène semble avoir reconnu un troisième type de ponos[86] qui forme son image de soi ou son estime de soi: discréditer l’opinion populaire, qui est bien sûr non entraînée et corrompue, est elle-même un genre de ponos qui guide vers la vertu. Foucault souligne également cette inversion par laquelle la foi en ses propres principes devient un exercice vers la vertu, au moment où l’on est rejeté socialement, en devenant une sorte d’exercice de καρτερία: « mais il y a un autre aspect de l’endurance cynique, de la valeur d’exercice prône par l’acceptation de ces humiliations, de ces insultes et de ces coups – ceci est important et marque sans doute une certaine proximité avec le stoïcisme (…) -, c’est que l’exercice de l’endurance manifeste et renforce le lien philanthropique qui peut exister entre les philosophes et le genre humain tout entier. (…) On supportera la violence et l’injustice, non seulement pour devenir endurant et se préparer à tous les malheurs qui pourront arriver- ce qui est la forme classique-, mais comme un exercice d’amitié, d’affection, de lien en tout cas intense avec le genre humain tout entier. » [87]
- Aspect missionnaire et religieux.
Dans son article Religion and the Early Cynics[88], Goulet-Cazé décrit le climat religieux à la fin de la période classique et au début de l’âge hellénistique, en mettant l’accent sur le « cercle de Socrate ». Elle conclura qu’il existe un agnosticisme comme position commune du cynique envers la religion. Toutefois, dans cet article, elle décrit aussi comment, en même temps que les premières critiques se font entendre vers les dieux et les religions, il y a aussi un progrès de la superstition dans la culture populaire. C’est dans cet environnement que Diogène, quand il était jeune, demanda au célèbre oracle d’Apollon s’il devait défigurer la monnaie, et il concéda énigmatiquement l’argent public[89]. Socrate[90], Diogène et Zénon[91] ont tous consulté des oracles avant de prendre des décisions importantes dans leur vie. Nous trouvons dans chacun d’eux un caractère de mission divine, une mission à laquelle ils consacrent leur vie sans rien demander en retour, en tant que responsables de l’humanité. Le cynique devient un « missionnaire universel du genre humain, qui veille sur les hommes quoi qu’ils fassent et où qu’ils soient, qui frappe aux portes, qui entre, qui vérifie ce qui se passe, qui dit ce qui est bien et ce qui est mal. »[92]
L’ascèse aura pour fonction première d’assurer le bonheur et la vertu de qui la pratique, mais il ne faudrait pas sous-estimer sa portée pédagogique et sa valeur « missionnaire »[93]. Le vrai cynique est dévoué au genre humain : « Le cynique est un philosophe en guerre. Il est celui qui mène, pour les autres, la guerre philosophique. »[94]
- L’exemplarité morale. Éveiller les concitoyens … en les dérangeant.
Socrate avec sa méthode ironique-maïeutique agit comme s’il ne savait rien, mais l’autre saurait quelque chose qu’au final il ignorait.[95] Socrate découvre qu’à la base de toute éthique, de toute recherche de la vertu, une prise de conscience est nécessaire. Tant qu’on se croit vertueux dans quelque chose, on ne cherche pas une amélioration, et par conséquent on ne devient pas meilleur. La condition de la vertu est la reconnaissance de l’ignorance. On doit apprendre à se connaître, ce qui nécessite une communication au sein de la polis, c’est-à-dire un dialogue ouvert à un public. A cet égard, nous pouvons parler d’une mission morale, bien que très différente, chez Socrate et chez les cyniques,, tous deux recherchent une confrontation dialectique avec leurs concitoyens pour les amener à prendre conscience, qui est nécessaire à une transformation ultérieure[96]. Le dialogue devient donc un exercice spirituel[97]. Selon Suzanne Husson, « il semble impossible de soutenir que l’on n’a pas besoin de la cité tout en demeurant en elle, mais pratiquer l’anachorèse serait incompatible avec l’héritage socratique. Pour Socrate, en effet, la philosophie est une réalité nécessairement urbaine. La sagesse ne peut se désirer qu’au cœur de la cité, car, non seulement sa recherche implique la rencontre de l’autre (à travers l’elenchos pour Socrate et le ponos provocateur pour Diogène), mais cette rencontre s’effectue sous le regard d’un tiers, le public grâce auquel ce qui se joue entre deux individus prend un sens commun, valable pour tous ceux qui appartiennent au même espace politique et par extension, pour tous les hommes. Qui cherche, non pas simplement le bonheur pour lui-même, mais une sagesse s’adressant à tous, doit, pour atteindre cet universel, en passer par la médiation de l’espace public. »[98] La philosophie chez Socrate et chez les cyniques n’est pas l’élaboration solitaire d’un système, mais l’éveil de conscience, l’accession à un niveau d’être qui ne peuvent se réaliser que dans une relation de personne à personne. Le cynique examine les citoyens afin de démasquer l’ignorance et l’imprudence qui les empêchent d’agir avec la vertu. Le vrai cynique, comme nous venons de voir, est dévoué au genre humain : Socrate et les cyniques s’adressent à tous de la même manière, ils ne font aucune distinction.[99] Quand il s’agit d’interagir avec les autres sur une base intellectuelle, Socrate lui donne la « richesse » sans poids ni mesure, et Antisthène est capable de partager sa « richesse » de sagesse avec qui veut sans envie ni perte pour lui-même[100] et sans économie.
Ce caractère ouvertement pratique de la philosophie est contraire à l’approche théorique des grands socratiques, Platon et Aristote. Elle forme d’ailleurs l’une des critiques récurrentes de Diogène à Platon: « De quelle utilité est pour nous un homme (entendons Platon) qui, bien que pratiquant la philosophie depuis longtemps déjà, se trouve n’avoir dérangé personne? »[101] Diogène ne comprend pas comment Platon ne dérange pas. Se sentir dérangé, se sentir mal à l’aise est le signal qu’un changement est en cours. Il n’est pas agréable pour les citoyens qui parlent à Socrate de passer de l’insouciance à la reconnaissance de l’ignorance. Cette exhortation socratique, étape du dialogue socratique où l’interlocuteur prendra conscience de sa propre situation morale, est l’étape qui indispose le plus l’interlocuteur de Socrate : « En effet, quel que soit le procédé utilisé, il n’est jamais agréable de s’avouer ignorant et de reconnaître ses propres limites. »[102] Le cynisme dérange aussi, comme dit Goulet-Cazé, « parce qu’il est foncièrement sérieux, parce qu’il est foncièrement philosophique, mais qu’en même temps il rejette dans une attitude de défi audacieuse le masque du sérieux traditionnel. »[103] Le cynique est capable de déranger en mettant en pratique les valeurs philosophiques du moment, ce que Foucault voit comme un éclectisme a effet inversé : « éclectisme, car il reprend bien quelques-uns des traits les plus fondamentaux qu’on peut trouver dans les philosophies qui lui sont contemporaines; a effet inversé, parce qu’il fait de cette reprise une pratique révoltante, pratique révoltante qui a instauré, non pas du tout un consensus philosophique, mais au contraire une étrangeté dans la pratique philosophique, une extériorité, et même une hostilité et une guerre. »[104] C’est aussi dans cette dichotomie cynique entre la provocation et la mise en pratique des valeurs les plus pures de la philosophie que Foucault voit le miroir brisé et la banalité scandaleuse, concepts que nous avons évoqués plus haut dans l’introduction [105].
Ascèse et sarcasme cherchent tous deux à provoquer, afin de montrer aux concitoyens le chemin de l’excellence morale. La provocation a donc un but pédagogique.[106] « On peut aussi dire qu’ils retournent et inversent ce thème de la vie souveraine en la dramatisant dans la forme de ce qu’on pourrait appeler la vie militante, la vie de combat et de lutte contre soi et pour soi, contre les autres et pour les autres »[107].
Le cynique tente de démontrer que la forme d’existence qu’il menait était la seule vertu et le seul bonheur véritable. Dans sa tentative de démontrer cette forme authentique d’existence, Suzanne Husson[108] note qu’elle se développe dans deux directions différentes : a) dans une direction négative, il fallait démontrer que les idéaux portés par la civilisation sont trompeurs et ne proposent qu’une pure apparence de bonheur ; et b) dans une direction plus positive, il faudrait montrer que cette vie naturelle dont le cynique est l’exemple peut garantir le bonheur et que ce nouvel idéal n’est pas plus trompeur que les autres. En langage kantien, comme dirait Husson quelques phrases plus tard, « comment la maxime de l’action cynique peut-elle se convertir en règle universelle? ».[109]
La première direction ne pose pas de grandes difficultés. Les anecdotes montrent que Diogène exerçait quotidiennement cette partie critique du cynisme sur ses contemporains, « en montrant dans quel malheur ils étaient plongés et que la cause de leur malheur n’était pas circonstancielle, mais structurelle, résidant dans la contradiction interne de leur désir »[110]. La seconde direction est basée sur l’exemple moral exercé par la figure du sage, exemple moral qui dans le cas des cyniques n’est pas humain, mais animal : « Le cynique doit démontrer que, même s’il habite une cité antinaturelle, il n’a pas besoin de ce qui, en elle, n’est pas conforme à la nature : il pourrait tout aussi bien vivre dans une cité où toute institution et loi inutile aurait été abolie, où chacun se conformerait totalement aux normes de la vie naturelle. »[111] D’où Suzanne Husson déduira que l’écriture d’une République est une étape nécessaire à l’exploration de toutes les dimensions de l’autarcie cynique.
- Ironie et utilisation indirecte du langage.
Socrate annonçait les cyniques par son ironie, c’est-à-dire par son usage indirect du langage. Ce dernier était utilisé par les cyniques de façon ironique, sarcastique et souvent en parodiant le discours dominant pour défier et changer les croyances et les comportements. Les cyniques vont même réduire le discours à un strict minimum. L’ironie socratique devient chez Diogène une ironie mordante qui piège le citoyen distrait. Cette ironie cynique peut être arrogante et même insultante, toujours empreinte de franchise: c’est la liberté de la parole, le courage de la vérité dont parle Foucault lorsqu’il traite de parrêsia, concept que nous commenterons ensuite. Quant à la possible utilisation rhétorique du langage, qui se manifeste sans aucun doute dans les derniers cyniques de la période impériale, Antisthène nous offrirait déjà une nouvelle vision de la relation entre Socrate et les sophistes, un Socrate qui ne renonce pas à Homère et aux poètes, à la rhétorique ou aux autres modes traditionnels de discours moral et d’éducation à la cause de la philosophie, mais se les approprie plus subtilement[112]: «This use of language to show rather than tell is continuous with the later Cynic interest in non-discursive linguistic genres, whether literary fiction and parody (as in the work of Crates of Thebes, Bion of Borysthenes, Teles, Menippus, and possibly Diogenes of Sinope) or the oral diatribe. Although diatribe seems to tell and only to tell, in very high decibels, it is possible to understand the very blatancy of the message as a type of showing.»[113]
- Parrêsia, le courage de la vérité.
Platon et Xénophon, dans leur Apologie de Socrate respective, montrent un Socrate qui a confiance en lui-même, qui s’exprimera comme bon lui semble et qui ne lira pas de discours.[114] Il donne valeur à sa vie avec ses actes, et Foucault trouve ici un acte de parrêsia: ces trois aspects (langage ordinaire, spontanéité et fidélité) caractérisent selon lui la parrêsia.[115]« Il est vrai que la parrêsia est dangereuse, mais il est vrai aussi que Socrate a eu le courage d’affronter les risques de cette parrêsia. Il a eu le courage de prendre la parole, il a eu le courage de donner une opinion adverse devant une Assemblée qui cherchait à le faire taire, à le poursuivre, éventuellement à le punir »[116]
« Pour qu’il y ait parrêsia, il faut que, dans l’acte de vérité. Il y ait : premièrement, manifestation d’un lien fondamental entre la vérité dite et la pensée de celui qui l’a dite; deuxièmement, mise en question du lien entre les deux interlocuteurs (celui qui dit la vérité et celui auquel cette vérité est adressée). D’où ce nouveau trait de la parrêsia : elle implique une certaine forme de courage. »[117]
Foucault distingue trois types de parrêsia. La première, répond à ce qu’il appelle « bravoure politique du dire-vrai » , la deuxième forme de courage de la vérité est l’ironie socratique, « ironie qui consiste à faire dire aux gens, et à leur faire progressivement reconnaître que ce qu’ils disent savoir, ce qu’ils pensent savoir, en fait ils ne le savent pas. »[118] Ici, le risque se présente chez ceux qui écoutent, un risque pour la douleur de réaliser la banalité de leur vie, de subir la colère, l’irritation, tout un processus qui conduira les hommes à se préoccuper d’eux-mêmes. « L’ironie socratique consiste à risquer, de la part des gens, la colère, l’irritation, la vengeance, le procès même, pour les conduire, en dépit d’eux-mêmes, à se soucier d’eux-mêmes, de leur âme et de la vérité. »[119]
Avec le cynisme, nous trouvons la troisième et plus radicale forme de la parrêsia, parce qu’elle risque la vie non seulement en disant la vérité, mais par la manière même dont elle est vécue. C’est ce que Foucault appelle le scandale cynique, la troisième forme de parrêsia, qui consiste en « ceci que l’on arrive à se faire condamner, rejeter, mépriser, insulter par les gens la manifestation même de ce qu’ils admettent ou prétendent admettre au niveau des principes. Il s’agit d’affronter leur colère en leur donnant l’image de ce que, tout à la fois, ils admettent et valorisent en pensée, et rejettent et méprisent dans leur vie même. »[120]
Cette parrêsia du bios kunikos nous amène à la question du bios philosophikos. Foucault explique ensuite l’oubli de la philosophie occidentale de l’aspect pratique, du mode de vie philosophique. Il croit que les causes sont d’une part la religion, qui occupe l’espace de l’ascétisme et la spiritualité de la philosophie, et d’autre part, l’institutionnalisation des pratiques du dire-vrai sous forme de science: « Confiscation du problème de la vraie vie dans l’institution religieuse. Annulation du problème de la vraie vie dans l’institution scientifique. »[121]
- La pratique du dialogue et du ponos: Pas d’écrits, pas d’école
Le cynisme, comme les autres écoles hellénistiques, donne la priorité à la pratique plutôt qu’à la théorie[122]. Mais la position cynique est la plus radicale, niant et négligeant toutes sortes de développements théoriques : c’est par excellence l’option de la voie courte vers la vertu[123]. Antisthène nous dit que « la vertu a pour objet l’action ; elle ne réclame ni beaucoup de paroles ni une grande science. »[124] Comme le souligne Suzanne Prince[125], bien que la sagesse soit le bien ultime d’Antisthène, ses conceptions minimalistes de la logique excluent a priori tout discours théorique sur la sagesse ou la vertu. Il a enseigné que la définition, et même la prédication, sont strictement impossibles[126]. Bien que le langage des cyniques reste un outil pour démontrer les croyances et convertir les autres, nous voyons comment la notion d’un discours prudent et transparent qui mène à la découverte de vraies propositions, axiomes ou croyances, fondamentale pour les approches modernes de Socrate et même pour le concept moderne de « philosophie », est cependant très éloigné de l’ancienne tradition cynique. Les cyniques semblent donc avoir accepté les idées derrière les paradoxes d’Antisthène ainsi que les avoir appliqués dans leur philosophie pratique. Cette philosophie servira à démontrer la vertu, en rejetant les revendications alternatives de la culture dominante, et appellera les autres à faire de même.
Nous savons que Socrate n’écrivit pas non plus de système philosophique, qu’il n’a pas de doctrine et qu’il se méfie aussi du discours[127]. Il est un philosophe sans philosophie[128]. Il n’existe aucune école socratique, seulement la diffusion des logoi sokratikoi. Les différents témoignages sur son mode de vie nous montrent ce que Socrate entend par un homme de valeur [129]: Il ne s’agit pas de donner des discours philosophiques, mais plutôt d’affirmer l’excellence morale avec un mode de vie, transmis par l’acte et non par les mots[130].
Nous ne retrouvons pas de discours chez Socrate, mais, comme le note Hadot, plutôt des énoncés éthopoétiques[131], des citations de portée pratique, non théorique, qui permettent d’articuler le mode de vie socratique à la manière d’une pratique éthique, d’une vie examinée, mais non comme une théorie éthique abstraite. Le logos socratique et le ponos cynique revendiquent tous les deux le même éveil chez leurs concitoyens. « Bien qu’on ait pu parler d’un intellectualisme socratique, n’oublions pas que l’elenchos socratique s’appuie en permanence sur l’expérience concrète de la vertu ou de toute autre valeur qu’il s’agit de définir. C’est l’examen d’exemples connus de tous, et dans lesquels les interlocuteurs sont personnellement impliqués, qui permet de décider de la validité des définitions proposées. Le logos socratique ne s’achève pas dans le détachement du sensible comme le fera plus tard le logos platonicien, mais dans la dénonciation des erreurs de l’opinion commune. Sur ce point il ne diffère donc pas de la démarche de Diogène. »[132]
Diogène a le même objectif que Socrate, mais il remplace l’elenchos dialectique par l’elenchos de l’épreuve, du ponos[133] : « De même que le dialogue est à la fois dialogue de l’âme avec elle-même et dialogue avec autrui, le ponos est à la fois mise à l’épreuve de soi par les exigences de la nature et mise à l’épreuve d’autrui, car il est un acte essentiellement public. D’autre part, le ponos est une expérience dans laquelle coïncident à la fois la connaissance du contenu de la vertu, le désir de la vertu et sa réalisation, c’est-à-dire qu’il joue chez Diogène le rôle de la connaissance socratique de l’essence. »[134]
Cette absence de corpus théorique va de pair avec une absence d’école. En fait, se référer au cynisme comme à une école n’est pas une approche correcte. Pour Socrate comme pour les cyniques, l’importance n’est pas l’école ou l’héritage théorique, mais plutôt l’action dans le présent, l’éveil de la léthargie à ses concitoyens :
« Quand les philosophes écrivent de longs traités théoriques où ils développent de longues argumentations, Diogène décoche le bon mot qui laisse l’interlocuteur démuni et penaud; quand Platon ou Aristippe se précipitent à Syracuse chez Dion, Diogène, lui, prend paresseusement le soleil au Cranéion et demande à Alexandre de bien vouloir quelque peu s’écarter afin de le laisser jouir des rayons du soleil corinthien. »[135]
- Critique du discours dominant. Attitude révolutionnaire
Pour Diogène et pour les cyniques, Socrate était avant tout l’exemple de vie vertueuse, possesseur du vrai-dire, et une voix dénonçant les fausses valeurs de la société obsédée par les plaisirs de la richesse matérielle. Toutefois, la mise en pratique de sa tâche révolutionnaire diffère grandement de celle des cyniques. Alors que Socrate se présente comme ignorant dans ses dialogues, Diogène traite ses concitoyens comme des esclaves. Nous pourrions dire que Socrate offre une résistance passive[136] , tandis que les cyniques se déplacent vers un plan plus actif, interpellant les hommes avec leur esthétique agressive et leur sarcasme. Or, nous dénotons dans les deux cas la même tâche révolutionnaire, de changement, de démasquage.
Nous percevons un aspect révolutionnaire du cynisme dans sa mission de «défigurer la monnaie» des conventions sociales. Dans le Symposium de Xénophon[137], Antisthène prononce un long discours en l’honneur de sa « richesse », qui s’avère être une pauvreté autosuffisante. C’est dans cette métaphore de la richesse, de la vraie richesse qu’Antisthène trouve dans l’autarcie, qu’il y a une signification profonde et révolutionnaire. Dans l’ensemble, Antisthène trouve la liberté économique, symbolique de la liberté de l’âme, en se retirant du système économique.[138] L’autarcie se rebelle ainsi contre le système économique, contre la banalité de la même monnaie et de la propriété privée[139]. Nous retrouvons ici un des multiples sens que peut prendre le slogan cynique « paracharattein to nomisma », « falsifier la monnaie »[140] : l’argent, en effet, n’est qu’un jouet entre les mains d’enfants capricieux qui s’imaginent posséder la chose la plus précieuse.[141] L’autarcie devient donc une position révolutionnaire contre tout l’establishment social, en opposant la vertu de l’âme à la richesse matérielle, à la noblesse, voire même à la différence de classes sociales[142].
L’autocratie socratique est utilisée par les cyniques pour revendiquer une authenticité morale à un âge séduit par les biens matériels, à la fois dans la période hellénistique et sa renaissance à l’époque impériale[143], affirmant falsifier la monnaie, c’est à dire, renverser les valeurs, couramment respectées non seulement dans le domaine social, religieux ou moral, mais aussi en philosophie[144].
III. Conclusion
Tout au long de l’étude, nous avons pu démontrer l’influence indéniable du mode de vie du Socrate de Xénophon sur celui des cyniques. L’ischus socratique se présente comme une clé pour toutes les écoles hellénistiques, mais surtout parmi les cyniques qui font de l’autarkeia la base de leur mode de vie. Nous avons également vu comment la mise en place de cette autarkeia conduit à d’autres forts parallèles entre Socrate et les chiens. « Déranger pour réveiller », apparaît comme l’un des axes fondamentaux sur lesquels se fonde leur philosophie pratique. Dans le Courage de la Vérité, Michel Foucault utilise trois expressions – le miroir brisé, l’éclectisme a effet inversé et la banalité scandaleuse – le tout pour, avec leurs différentes nuances, refléter le même concept de base, à savoir le fait que les cyniques produisent un rejet en agissant selon les principes les plus purs de la philosophie. Socrate, quant à lui, dans son travail de sage-femme, crée aussi de l’inconfort. Il est comparé, par exemple, par Menon, à un poisson-torpille, car il met son interlocuteur dans un état de torpeur ou l’engourdit. Alors que dans l’Apologie, on le compare à une mouche-taon[145], car il s’attache aux citoyens et les pique afin de les réveiller. Les deux, Socrate et les cyniques, déragent pour réveiller, et le font parce qu’ils ont une mission morale. Leur vie est entièrement consacrée à leurs concitoyens, c’est une vie militante, « une vie de combat et de lutte contre soi et pour soi, contre les autres et pour les autres [146]». Ils n’ont rien, errent seulement avec leur tribôn dans les rues d’Athènes. Ils rejettent toute forme de richesse matérielle parce qu’ils savent que la vraie richesse réside dans la vertu : une attitude révolutionnaire qui les empêche de reconnaître les classes sociales ou de valoriser l’argent, une attitude impensable aujourd’hui. C’est une tâche héroïque, digne d’Héraclès. Comme nous l’avons vu grâce à l’œuvre de Suzanne Husson, l’interaction nécessaire avec les citoyens devient un exercice spirituel, soit par le dialogue socratique, soit par la mise en œuvre du ponos. Une interaction avec les concitoyens qui est pleine de nuances et de richesse littéraire, non par ce qu’ils écrivent ou disent, mais par la manière dont ils l’expriment et le moment où ils le disent. Son ironie et son utilisation indirecte de la langue deviendront une énorme contribution cynique-socratique à la littérature universelle à travers du genre sérieux-risible, qui gagne en force à l’époque impériale, et qui résistera le pas du temps sous différents types de satire jusqu’à nos jours.
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[2] En Le courage de la vérité, Foucault développe l’idée de l’oubli de la vie philosophique, bios philosophikos, qui a permis que la relation avec la vérité ne puisse plus être validée et manifestée que sous la forme de la connaissance scientifique. Voir la fin de la section III.6 du présent travail pour de plus ample information.
[3] Diogène Laërce, (II,20) : « Καὶ πρῶτος περὶ βίου διελέχθη » selon la traduction collective dirigée par M.O. Goulet-Cazé, Le Livre de poche, LGF, 1999. « Le premier qui ait traité de la morale », dans la traduction de Charles Zévort, ou aussi traduit comme « le premier à parler du mode de vie », selon l´édition consultée pour le présent travail, avec la traduction de García Gual: Diógenes Laercio. Vida y opiniones de los filósofos ilustres. Alianza Editorial. Madrid 2013.
[4] Pierre Hadot. Qu’est-ce que la philosophie antique? Gallimard, Collection Folio essais. Paris, 1995.P. 106.
[5] « Une vie à laquelle cet examen ferait défaut ne mériterait pas d’être vécue ». Platon, Apologie de Socrate 38a. P.121
[6] «It is likely that Antisthenes, being older and probably closer personally to Socrates than was Plato, as well as probably quicker to “publish” after Socrates’ execution and sooner to die, was a more conservative disciple. » Susan Prince. Socrates, Antisthenes, and the Cynics. Dans A Companion to Socrates. Edited by Sara Ahbel-Rappe, Rachana Kamtekar. Blackwell Publishing Ltd., 2006. P. 76
[7] Pour plus d’information à propos de la relation entre cyniques et cyrénaïques, Michel Onfray. Las sabidurías de la antigüedad. Contra historia de la filosofía. P. 131. Edition originale: Les sagesses antiques. Grasset & Fasquelle. Paris 2006
[8] Ibid. P. 77 «According to Hellenistic tradition, Diogenes was a pupil of Antisthenes, and this connection completed a five-generation chain of philosophical “succession” from Socrates through Antisthenes and Diogenes to the Cynic Crates of Thebes and then to Zeno of Citium, founder of the Stoa. »
Dans le même article, plus tard, Prince notera que certains stoïciens avaient promu Antisthène comme leur ancêtre socratique (P. 79-80).
[9] « Quant aux stoïciens, acculés à deux fidélités difficilement compatibles : fidélité à leurs maîtres directs, les cyniques, et fidélité à Socrate, dont ils tenaient par-dessus tout à se proclamer les héritiers, ils tentèrent l’impossible conciliation, maintenant fermement l’intellectualisme, mais proclamant en même temps la nécessité de l’exercice spirituel, sans toutefois renoncer à la pratique d’une ascèse corporelle qui revêtit des formes plus ou moins rigoureuses selon la personnalité de chacun. » Goulet-Cazé. L’ascèse cynique. P. 191
[10] Michel Foucault. Le courage de la vérité. Leçon du 14 mars 1984. P. 213
Dans la même œuvre, Foucault nous montre la pensée cynique comme une partie nécessaire de la pensée philosophique. Malgré la répulsion qu’il provoque, il est néanmoins accepté et respecté même par les détracteurs ou les penseurs des autres écoles. À titre d’exemples, il cite deux stoïciens, Sénèque, admirateur de Démétrius le cynique, et Épictète, qui, dans son Entretien 22 du livre III, décrit avec admiration le cynique idéal. Il cita plus tard aussi Lucien, qui également, malgré les critiques très violentes adressées non seulement à un cynique comme Peregrinus, mais pratiquement à tous les philosophes, fait un portrait positif de Démonax. (Ibid. P. 214)
[11] « Of all routes by which Socrates’ philosophy was transmitted to the Hellenistic world, that followed by the Cynics was the most startling and, in certain respects, the most influential. » A.A. Long. The Socratic Tradition: Diogenes, Crates, and Hellenistic Ethics. Dans The Cynics. The Cynic Movement in Antiquity and Its Legacy. Edited by R. Branham and Marie-Odile Goulet-Cazé. University of California Press. London, 1996. P. 28
[12] «Because the Cynicism of Diogenes was inherently rhetorical and political, it was easy to divorce from the virtuous life that was allegedly its goal. Stoicism, it seems, inherited and developed the seriously moral aspect of Antisthenes’ Socraticism, together with borrowings from the more technical Socratic schools, the Academy and Peripatos, and by the mid-Hellenistic period the “old” Cynicism had faded into literary activity, such as the satires of Menippus (Dudley 1937: 110–24). But Socrates and Antisthenes both were serious about politics, in the proto-cynic sense of confronting others in the community and turning them to the pursuit of virtue. When under the Roman Empire Cynicism became relevant again, as a stance against power, Socrates if not so much Antisthenes could stand with Diogenes of Sinope as an emblem for both exhortation to virtue and the virtuous life itself. » Susan Prince. Socrates, Antisthenes, and the Cynics. P. 90
[13] Ibid. P.78
[14] Socrate est né neuf ans après la victoire grecque sur les Perses qui a mis fin à la Deuxième Guerre médique et a marqué le début de l’hégémonie d’Athènes. À sa mort, la situation était bien différente. Cette période de changements est non seulement perçue comme une décadence par de nombreux auteurs, mais aussi comme une simple période d’évolution qui n’implique pas nécessairement un déclin. A titre d’exemple, les visions opposées de M. Sauvage et P. Ismard :
« En 399, le beau siècle politique, économique et artistique d’Athènes a donc pris fin. Mais le beau siècle philosophique de la Grèce vient tout juste de commencer. Platon, qui avait vingt-huit ans à la mort de Socrate, n’a connu que la décadence. Choisi, après une rivalité pitoyable entre les intellectuels grecs, comme précepteur d’Alexandre, Aristote optera pour la Macédoine et la vassalisation de l’Hellade; la mort d’Alexandre, en 323, montrera qu’Athènes est désormais incapable de liberté. La pensée hellénique fleurit sur les ruines de l’hégémonie et de l’indépendance helléniques. » Micheline Sauvage. Socrate et la conscience de l’homme. p.19
« Centrée sur les principaux épisodes militaires qui marquent la période classique, une telle perspective ne rend pas compte de l’histoire de la démocratie athénienne, et les spécialistes s’accordent aujourd’hui à penser le passage du Ve au IVe siècle comme une progressive mutation plutôt qu’en termes d’apogée et de déclin. La démocratie du IVe siècle se distingue sans doute de celle du Ve siècle par plusieurs aspects : sous le mot d’ordre du « règne des lois », son fonctionnement institutionnel paraît davantage formalisé et le contrôle du peuple sur les élites y est peut-être moins contraignant ; intégrés au jeu démocratique au Ve siècle, les « intellectuels » athéniens prennent progressivement leur distance à l’égard du champ politique. En aucun cas pourtant cette évolution ne peut être interprétée sous l’angle du déclin, et la cité restera bien vivante longtemps après la défaite contre les Macédoniens. » Paulin Ismard. L’événement Socrate. Champs histoire, Flammarion. Paris, 2013. P. 22
[15] P. Ismard cite, entre autres, l’exemple déconcertant du néolibéral Friedrich Hayek : « Récemment encore, l’économiste Friedrich Hayek a invoqué l’événement pour prétendre que les régimes autoritaires étaient bien souvent davantage garants des libertés individuelles que les régimes démocratiques. Dans le contexte des années 1970, marquées par la guerre froide et la politique américaine de containment en Amérique du Sud, sous la plume du grand idéologue du néo-libéralisme, le procès de Socrate en venait ainsi à justifier le Chili de Pinochet. » P. 11
[16] « La littérature chrétienne des premiers siècles de notre ère s’empara du procès pour en faire le lieu d’un affrontement entre paganisme et monothéisme. » P. Ismard, P. 25. Idée développée dans le chapitre 7, p. 211. L’Islam utilisera aussi Socrate pour défendre son monothéisme.
[17] Il s’agit de la perspective, par exemple, de Micheline Sauvage. Socrate et la conscience de l’homme. P.14, ou de I.F. Stone, Le procès Socrate. Éditions Odile Jacob. 1990, Paris: « Socrate a eu besoin de la ciguë comme Jésus de la crucifixion: pour remplir une mission. Mission qui a entaché a jamais l’honneur de la démocratie. Tel est le crime tragique d’Athènes. » P. 269
[18] Asebeia est la transcription du terme grec ασέβεια (composé de l’alpha privatif et de σέβας, sébas = chose sacrée) qui aboutirait littéralement à la répudiation ou au déni du sacré. Il est traduit par l’impiété.
[19] « Le registre des mœurs, la pratique religieuse et la vie politique athénienne dans sa dimension idéologique et institutionnelle s’offrent ainsi à l’observation lors de l’« affaire Socrate ». Paulin Ismard, L’événement Socrate.
[20] « Un homme capable de s’émanciper en quoi que ce soit de la tradition est un homme capable de battre son père: cela est évident. Si nous voulons sauver la cité, mettons le feu à la maison des philosophes, et qu’ils y soient rôtis. » Ibid. P.18
[21] P. Ismard. Introduction.
[22] « Au cours de son procès Socrate met en pratique sa philosophie dans un démarche éthique qui ouvre la voix de la ‘’dissidence’’, plus que celle de la sagesse…Sa conduite lui vaut sa condamnation à mort. Mais c’est par son refus de tout compromis que Socrate sauve la philosophie naissante et fait émerger l’identité du philosophe, dans un choix symbolique qui lui assure la postérité infinie que nous lui connaissions. » Maryvonne David-Jougneau. Socrate Dissident. Solin Actes Sud. Arles, 2010. P. 19.
[23] « Le procès de Socrate s’inscrit donc pleinement dans la chronologie politique qui voit les démocrates réaffirmer leur pouvoir sur la cité. Faut-il pour autant affirmer que sa condamnation ne fut que le résultat de cette reconquête démocratique ? Une telle perspective est défendue par la majorité des historiens, pour lesquels le motif de l’impiété sous lequel Mélétos accusait Socrate n’était que le masque –indispensable en raison même du serment d’amnistie juré par chacun des Athéniens en 403 –d’une accusation dont les véritables motifs étaient politiques. Les Athéniens auraient reproché à Socrate son soutien indirect au régime des Trente. » P. Ismard. P. 101
« Le Socrate platonicien des manuels scolaires qui arpente l’agora athénienne, exerçant sa dialectique avec le tout-venant aux dépens des autorités proclamées du savoir, constitue même à coup sûr une des représentations les plus populaires de l’homo democraticus athénien. Aussi séduisant qu’il puisse sembler à première vue, ce rapprochement a pourtant tout d’un faux raccord confondant, au prétexte de leur contemporanéité, deux phénomènes qui se sont pensés aux premiers temps de leur apparition comme antagonistes. La philosophie, singulièrement sous sa variante platonicienne, s’est pensée comme un corps étranger à la cité. » P. 83.
« Plus révélatrice encore est la ligne argumentative de l’Accusation contre Socrate rédigée par le sophiste Polycrate à la fin de la décennie 390. Socrate y était dépeint comme un tyrannikos, un « ami de la tyrannie », qui aurait incité ses proches à mépriser la démocratie. » P. 85
Il est à noter que P. Ismard ne croit pas que ce soit la seule raison du procès Socrate : « Faire de cet antagonisme intellectuel la cause de la condamnation du philosophe serait pourtant franchir un pas bien imprudent. On peine à croire, en effet, que la philosophie socratique ait été connue dans toute sa subtilité doctrinale par les juges athéniens de 399. Notre connaissance du texte de Polycrate ne laisse en rien soupçonner une conception claire de la philosophie socratique. La démocratie avait connu par ailleurs de pires adversaires qui n’avaient jamais été inquiétés. Au-delà de la philosophie politique socratique, c’est surtout l’ensemble d’un comportement et de pratiques qui laissaient suspecter Socrate d’être un adversaire du dêmos athénien. » P. 111
[24]« Socrate, c’est le parrèsiaste. Mais souvenez-vous : de qui a-t-il reçu sa fonction de parrèsiaste, sa mission d’aller interpeller les gens, les tirer par la manche et leur dire : occupe-toi un peu de toi-même? Du dieu de Delphes et de l’instance prophétique qui a rendu ce verdict». Michel Foucault. Le courage de la vérité. Dans Leçon du 1er février 1984. P. 26
Voir la section III.3 Aspect missionnaire et religieux, pour de plus ample information.
[25] À titre d’exemple, c’est ainsi que Critias interdit à Socrate le droit à la discussion : « (32) comme les Trente avaient fait mettre à mort un grand nombre de citoyens, qui n’appartenaient pas à la lie, et qu’ils en avaient incité beaucoup à commettre des injustices, Socrate dit quelque part qu’il trouverait étrange qu’un gardien d’un troupeau de bœufs qui en réduirait le nombre et le poids ne reconnût pas qu’il est un mauvais bouvier, mais qu’il trouverait étonnant encore qu’un homme placé à la tête d’une cité qui diminuerait le nombre de ses concitoyens, tout en les rendant pires, n’en fût pas honteux et ne reconnût pas non plus être un mauvais magistrat. (33) Une fois que cette réflexion leur fut rapporté, Critias et Chariclès convoquèrent Socrate, lui montrèrent la loi et lui interdirent de discuter avec les jeunes gens. » Xénophon, Mémorables. Tome I. Introduction et Livre I. Livre I, 2, 31-37. Paris. Les Belles Lettres, 2000. P.18
[26] André Dorion a rappelé que les Nuées d’Aristophane, présenté au concours dans le -423 av J.C., « anticipent déjà les trois chefs d’accusation qui seront retenus contre Socrate » une vingtaine d’années plus tard. Dans l’introduction au Xénophon, Mémorables. Tome I. Introduction et Livre I. Paris. Les Belles Lettres, 2000.
« La violence de la charge d’Aristophane a conduit de nombreux historiens à établir un lien direct entre la représentation de 423 et le procès de 399 : le monde de la comédie mettrait ainsi en lumière un consensus social hostile à Socrate, et l’accusation de 399 s’ancrerait dans une lointaine hostilité de la part du dêmos athénien. » P. Ismard. Introduction. L’Événement Socrate.
« Socrate est présenté par Aristophane comme un fou, non pas comme un fou inspiré, mais comme un fou dangereux parce qu’il ne se rend compte des dangers qu’il court en ne respectant pas cette croyance fondamentale, et qu’il fait courir à la cité en la niant publiquement. Socrate manque de conscience de la réalité humaine, il n’est pas un philosophe politique et il n’est assurément pas non plus un poète. Il manque de phronésis, c’est à dire de sagesse pratique, c’est à dire de ‘’sagesse humaine’’, pour utiliser l’expression de l’Apologie de Socrate de Platon. » Socrate et Aristophane. L’éclat. Chicago 1993. Présentation d’Olivier Sedeyn. P. XLIX.
[27] Voir la citation qui ouvre la présente étude.
[28] « (…) our Hellenistic and post-Hellenistic sources, committed to this line of succession (Mansfeld 1986), probably preserved aspects of Antisthenes’ thought that are more proto-Cynic or proto-Stoic than we would have received through a disinterested tradition. » Susan Prince. Socrates, Antisthenes, and the Cynics. Dans A Companion to Socrates. P. 76-78
[29] « À en croire Aristote, les logoi sokratikoi constituaient un genre littéraire à part entière, reposant sur le principe de la prose dialoguée. Ces dialogues étaient destinés à la lecture privée ou à voix haute par plusieurs lecteurs-acteurs au cours de « spectacles de chambre ». La part de fiction et d’invention inhérente au genre interdit d’y voir autant de témoignages visant à l’exactitude historique : l’auteur pouvait laisser libre cours à son imagination en respectant néanmoins les bornes que lui imposaient les représentations communément partagées de Socrate. (…) L’Apologie de Socrate de Platon se présente ainsi comme un discours à la fois fictif et vraisemblable. Les deux notions n’ont rien de contradictoire : opposer ce qui serait un discours inventé à un discours réellement prononcé (et de toute façon hors de notre portée) n’a guère de sens dans le cadre de la littérature antique. Il faut rappeler que les textes des orateurs que nous pouvons lire ne sont en rien une retranscription exacte des discours prononcés devant les juges puisque les plaidoyers faisaient l’objet d’une intense réécriture une fois le procès terminé –la littérature juridique grecque est avant tout littérature ! » P. Ismard. P. 36
[30] Socrates had many disciples other than Plato: this we know well. But when it comes to deriving useful insight from this fact, we are quick to declare impasse. We routinely translate the question of the real Socrates to the issue of surviving contemporary sources about Socrates and identify the complete literary texts of Aristophanes, Xenophon, and Aristotle as our possible avenues of access to an aplatonic Socrates. Aristophanes is dismissed as a comic parody, Xenophon is dismissed as banal and conventional, Aristotle is placed within the Academic tradition, and we turn back to Plato’s dialogues as our only source of insight into why Socrates mattered and what made him the first moral philosopher. Susan Prince. Socrates, Antisthenes, and the Cynics. Dans A Companion to Socrates. Edited by Sara Ahbel-Rappe, Rachana Kamtekar. Copyright © 2006 by Blackwell Publishing Ltd. P. 75
[31] Cité par Micheline Sauvage, Socrate et la conscience de l’homme, P. 141. Léon Brunschvicg, Le Progrés de la Conscience dans la Philosphie Occidentale, I, p.4.
[32] « Socrate est présenté par Aristophane comme un fou, non pas comme un fou inspiré, mais comme un fou dangereux parce qu’il ne se rend compte des dangers qu’il court en ne respectant pas cette croyance fondamentale, et qu’il fait courir à la cité en la niant publiquement. Socrate manque de conscience de la réalité humaine, il n’est pas un philosophe politique et il n’est assurément pas non plus un poète. Il manque de phronésis, c’est à dire de sagesse pratique, c’est à dire de « sagesse humaine », pour utiliser l’expression de l’Apologie de Socrate de Platon. » Présentation d’Olivier Sedeyn, dans Socrate et Aristophane, de Leo Strauss. L’éclat . Chicago 1993. P. XLIX
[33] À propos des différences entre Socrate de Platon et de Xénophon, voir Louis-André Dorion, L’autre Socrate. Études sur les écrits socratiques de Xénophon. L’Âne d’Or. Les Belles Lettres. Paris, 2013 p. XVI-XVII. Parmi les plus significatives pour notre étude, nous soulignons que le Socrate de Xénophon ne se déclare pas ignorant et ne recourt pas à l’ironie. Il considère que la vertu est le résultat de l’exercice (askêsis) qui peut être réalisé et aussi perdu. Il peut définir la vertu et se prononce aussi capable de l’enseigner. Il défend également la force physique comme indispensable à l’acquisition et à l’exercice de la vertu, tandis que le Socrate de Platon se concentre davantage sur le soin de l’âme. Le Socrate de Platon est très critique envers les dirigeants d’Athènes, comme Périclès, tandis que le Socrate de Xénophon se montre respectueux envers eux.
[34] Diogène Laërce. III, 35
[35] Diogène Laërce, VI 53-54 trad. Goulet-Cazé, Avant-propos « Les cyniques et la falsification de la monnaie », dans Les cyniques grecs. Fragments et témoignages, de Léonce Paquet. P.9
[36] Susan Prince. Socrates, Antisthenes, and the Cynics. P. 78
[37] En ce qui concerne le lien entre Diogène et Antisthène, Goulet-Cazé voit aussi de manière évidente le lien de Diogène avec le fondement moral d’Antisthène: « Que Diogène ait été ou non l’élève d’Antisthène reste une question controversée, mais que le cynisme de Diogène ait plongé ses racines dans l’univers moral d’Antisthène, nul ne songe à le contester. »
[38] «Antisthenes’ famous paradoxes are clearly extreme responses to Socratic questions, the pursuit of definition on the one hand and the claims about true happiness on the other. Although these extreme utterances have often led scholars to judge Antisthenes’ thought as a reduction of Socrates’ thought to a couple of its aspects, exaggerated out of proportion to the whole (…), in other fragments Antisthenes addresses the same issues in ways incompatible with simple readings of the paradoxes. (…) We see from the full set of evidence that Antisthenes probably did not believe in these paradoxes literally as stated, but delivered them to command attention for his real points, the futility of logical discourse and the counterintuitive path to happiness. » Susan Prince. Socrates, Antisthenes, and the Cynics. A Companion to Socrates. P. 75
[39] Ibid. P. 89. «Although Socrates and Diogenes become models in tandem for the wise man in later Stoicizing and Cynicizing authors, such as Epictetus and Dion Chrysostom, there is also an ancient sentiment that Cynicism is not continuous with Socraticism, presumably for its highly rhetorical character. Whereas Socrates was indifferent to poverty, the Cynic chose and embraced poverty. Whereas Socrates was ironic and bold, the Cynic was outrageously provocative and outspoken. Thus Clement and Epiphanius could say that Antisthenes “converted” from Socraticism to Cynicism (VA 107: Sayre 1948: 85). »
[40] « La véritable noblesse consiste dans la vertu, car la vertu suffit au bonheur ; elle n’a pas besoin d’autre secours que la force d’âme de Socrate. Καὶ τοὺς αὐτοὺς εὐγενεῖς τοὺς καὶ ἐναρέτους· αὐτάρκη δὲ τὴν ἀρετὴν πρὸς εὐδαιμονίαν, μηδενὸς προσδεομένην ὅτι μὴ Σωκρατικῆς ἰσχύος. » Diogène Laërce. Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres. VI, 11.
[41] « Grâce à elle (à l’ischus, force socratique, volonté), l’homme acquiert ces qualités maîtresses du cynisme que sont l’endurance, la maîtrise de soi et l’impassibilité. » Marie-Odile Goulet-Cazé, Avant-propos « Les cyniques et la falsification de la monnaie », dans Les cyniques grecs. Fragments et témoignages, de Léonce Paquet. Le livre de Poche. Paris, 1992. P. 6. Nous verrons tout de suite que ces qualités maîtresses du cynisme mentionnées par Goulet-Cazé sont les trois qualités socratiques décrites par Xénophon : karteria, enkrateia et autarkeia.
[42] Goulet-Cazé, L’ascèse cynique. P. 190
[43] Idée développée par Louis-André Dorion dans L’Autre Socrate: Études Sur Les Écrits Socratiques de Xénophon.
« (…) enkrateia (self-mastery with regard to bodily pleasures), karteria (endurance of physical pain), and autarkeia (self-sufficiency). Xenophon frequently mentions these three qualities of Socrates in the rest of the
Memorabilia, and for good reason: this triad forms the core of Socratic ethics in Xenophon’s writings. » Xenophon’s Socrates de Louis-André Dorion, traduit par Stephen Menn de la Université McGill. A Companion to Socrates. Edited by Sara Ahbel-Rappe, Rachana Kamtekar. Copyright © 2006 by Blackwell Publishing Ltd. P. 97
[44] «The main difference between the two Socrateses comes down to three characteristics which Xenophon presents at the beginning of Memorabilia 1.2, when he sets out to defend Socrates against the accusation of corrupting the young» Dorion. Xenophon’s Socrates. P. 96
« C’est là que le Socrate de Xénophon se sépare de celui de Platon, il proclame nettement et fortement que l’enkrateia est le fondement de la vertu. Cette exigence de maîtrise de soi devient une des lignes de force de son enseignant moral. » Goulet-Cazé, L’ascèse cynique. P. 138
[45] À propos de la subordination de l’enkrateia et la karteria à l’autarkeia, voir note 55 d’André Dorion.
[46] « L’homme est cet être qui, tout en relevant de la phusis, est capable de s’en éloigner, par le nomos qui règle son comportement social aussi bien que ses représentations psychiques. » Suzanne Husson. La République de Diogène. Une cité que quête de la nature. Librairie Philosophique J. Vrin. Paris, 2011. P. 10
[47] Ibid.
[48] Ibid. P. 11.
[49] « Diogène, tout d’abord, est un disciple de Socrate, dans la mesure où il estime que l’homme peut et doit mener par lui-même sa propre enquête sur la vertu et le bonheur. » Ibid. P. 8
[50] D.L. VI-2. Cité par Goulet-Cazé. L’ascèse cynique. P.146 : « Ici l’accent n’est point mis sur le côté intellectualiste de la vertu socratique, mais sur l’influence exercée par la personnalité de Socrate lui-même. »
[51] « Rappelons seulement qu’Héraclès fournit à Antisthène le thème de deux ou trois de ses ouvrages. » Goulet-Cazé. L’ascèse cynique. P. 208
[52] Enkrateia (ἐγκράτεια, en pouvoir-contrôle, from ἐν (dans) + κράτος (pouvoir,contrôle)) ce qui signifie donc la possession ou le pouvoir sur quelque chose ou quelqu’un d’autre, c’est l’antonyme d’akrasia (ἀκρασία de ἀ = sans + κράτος = pouvoir, contrôle), qui signifie « manque de commandement-contrôle (sur soi-même) ». Enkrateia vient de l’adjective enkratês. Pendant la vie de Socrate, trois de ses disciples, Isocrate, Xénophon et Platon, ont transformé l’adjectif enkratês en substantif enkrateia et lui ont donné un sens différent: avec eux, enkrateia ne signifiait plus le pouvoir sur quelque chose ou quelqu’un d’autre, sinon le pouvoir sur les propres passions et instincts, la maîtrise de soi, la modération.
Dans le Livre VII de l’Éthique à Nicomaque — De la tempérance et du Plaisir, Aristote approfondira ces concepts d’akrasia et enkrateia. Foucault souligne que le désir n’est pas nié par l’enkrateia, mais dominé. Le « sujet tempérant » n’a pas fait disparaître la vivacité des plaisirs et des désirs, il les a maîtrisés. Si Socrate ne se laisse pas séduire par Alcibiade, ce n’est pas parce qu’il est « purifié » de tout désir pour les garçons, mais parce que l’épreuve rend visible sa capacité à y résister. Le désir n’est pas nié, il est, grâce à l’enkrateia, dominé. La sophrosyne (σωφροσύνη, modération) était pour les Grecs la portée de la tempérance, de la piété, de la justice et du courage. D’autre part, l’enkrateia (continence) se réfère à la forme active de la maîtrise de soi dans le domaine du désir et du plaisir : L’enkrateia est présentée alors comme une condition de possibilité de la sophrosyne.
[53] André Dorion. Xenophon’s Socrates P.97
[54] Cf. Memorabilia 1.2.23: “it seems to me that every truly good thing needs to be exercised (asketa), and not least self-discipline; for the appetites that are implanted with the soul in the same body encourage it not to be self-disciplined, but to gratify both them and the body in the quickest possible way” (trans. Tredennick and Waterfield).
[55]« The role of enkrateia is distinctive to the ethics of SocratesX. SocratesP gives it no such importance: he never presents self-mastery as the foundation of virtue, and even the term “enkrateia” is absent from the early dialogues; the Charmides’ discussion of sophrosune is oddly silent on the traditional conception of sophrosune as a mastery of pleasures and desires. But one can hardly overestimate the role of enkrateia in the ethics of SocratesX, who makes it the foundation of virtue and the source of all benefit or usefulness (opheleia). »
Pour montrer l’utilité de l’enkrateia dans le Socrate de Xénophon, Dorion énumère et décrit dans le même article six fonctions de ce concept: Enkrateia est indispensable pour tous ceux qui exercent le pouvoir et occupent des postes de responsabilité, c’est la condition de la liberté, enkrateia est aussi la condition de la justice, et la condition sine qua non de l’amitié (philia). C’est la condition de la richesse et de la prospérité, et aussi la condition de la pratique de la dialectique. Xenophon’s Socrates. P. 97-99.
[56] Goulet-Cazé, L’Ascèse Cynique. P. 138
[57] Καρτερία, perseverance.
[58] Pierre Hadot. Éloge de Socrate. P.50
[59] Suzanne Husson. La République de Diogène. P. 65
[60] Aυτάρκεια, autarkeia (« qui se gouverne soi-même »), formé de deux mots, autos qui signifie « soi-même » et du grec ancien αρκειν, arkein qui veut dire au sens propre « écarter, pousser », par suite « tenir bon » et enfin « suffire, ce qui suffit ». Ainsi, celui qui se suffit à lui-même est celui qui sait par lui-même résister et repousser tout ce qui menacerait son existence, sa sécurité et plus loin son bonheur, celui qui par lui-même est arkos, donne la sécurité, écarte le mal et de ce fait ne dépend que de lui-même. Suzanne Husson différence trois types de êtres qu’on doit pouvoir manquer dans l’état de autarkeia : êtres ontologiquement inférieurs à moi, êtres qui sont mes égaux et êtres supérieurs (La République de Diogène, p. 77).
«Despite the importance of enkrateia in the ethics of SocratesX, it is not an end in itself. Enkrateia is certainly indispensable, but as a means to something else, while autarkeia is a state desired for its own sake. Moreover, enkrateia is subordinated to autarkeia to the extent that it paves the way toward self-sufficiency. We can show that the members of the Socratic triad (karteria, enkrateia, autarkeia) are not all on the same footing, that there is a hierarchy among them: at Memorabilia 1.2.1 the first two members of the triad cooperate in order to bring about the third, autarkeia. This subordination of enkrateia and karteria to autarkeia is not obvious at 1.2.1, but it becomes quite clear in the conversation between Socrates and Antiphon (1.6). » Dorion, P. 104
[61] Toutes les sources s’accordent sur cette caractéristique socratique. Pour citer quelques exemples, il apparaît comme ceci dans Platon dans Le Banquet ou au début du Phèdre 229a, dans les Nuées d’Aristophane 362, 363, ou dans Diogène Laërce II 24-25 et 27.
[62] Platon. Le Banquet. 220a – 221b
[63] La vie de l’esprit. Tome I. La pensée. Chapitre III. Qu’est-ce qui nous fait penser? 17. La réponse de Socrates. Imprimerie des Presses Universitaires de France. Vendôme, 1981. p.208
[64] Goulet-Cazé. L’ascèse cynique. P. 229
[65] Diogène Laërce, Vies des philosophes éminents 6.104 = VA 135, attribué aussi à Socrate à Mémorables 1.6.10
[66] « Il était fier de sa frugalité, et ne se fit jamais payer de salaire. Il disait que, plus il avait plaisir à manger, moins il avait besoin d’assaisonnement; plus il avait plaisir à boire, moins il comptait sur la boisson qui n’était pas sa portée; plus réduits étaient ses besoins, plus il était proche des dieux. » Diogène Laërce, II, 27.
[67] Double manteau qui ferait aussi partie du stéréotype du philosophe cynique. « Le tribôn était un petit manteau mince en laine grossière, que le cynique portait été comme hiver et qui pouvait même lui servir de couverture la nuit. Ce vêtement était par ailleurs en usage a Sparte et Socrate lui-même l’avait porté, manifestant ainsi son absence de besoins. » Goulet-Cazé, Avant-propos « Les cyniques et la falsification de la monnaie », dans Les cyniques grecs. Fragments et témoignages, de Léonce Paquet. P.8
Les références au tribôn chez les cyniques sont nombreuses. Diogène Laërce VI 22 ou VI 13, par exemple.
[68] Platon, Banquet, 221 c-d. Cité par P. Hadot dans son Éloge de Socrates, p. 40.
[69] L’accoutrement était donc, tel que signale Goulet-Cazé, l’expression directe, très concrète, et sans doute la plus visible, d’une pratique ascétique garantissant le bonheur. Pour citer les mots de Plutarque : « Le tribôn, la besace, la quête de leur nourriture quotidienne, voilà le commencement du bonheur pour Diogène, voilà le commencement de la liberté et de la réputation pour Cratès ».
[70] Michel Foucault. Le courage de la vérité. Leçon du 21 mars 1984. P. 247
[71] « Diogène n’hésita pas à proposer comme démarche philosophique essentielle un entraînement quotidien du corps aux ponoi, sous la forme d’un genre de vie dominé par la pauvreté et la frugalité extrêmes. De la sorte, la santé de l’âme se trouvait directement liée à une ascèse du corps et la vertu soumise bien davantage à la force de la volonté qu’aux jugements du logos. » Goulet-Cazé. L’ascèse cynique. P. 191
[72] Xavier Pavie. Exercices Spirituels : Leçons de la philosophie antique. Les Belles Lettres. Paris 2012. P. 117
[73] Dion Chrysostome, Sur la royauté, 11, in op. cit., p. 204
[74] Michel Foucault. Le courage de la vérité. Leçon du 21 mars 1984. P. 258. Foucault, dans cette rencontre entre Alexandre et Diogène, soit fictive ou non, trouva quatre différences clés entre ces deux personnages, quatre différences dans le type de royauté de chacun : La première, que nous venons de citer, que Diogène n’avait besoin de rien pour assurer sa royauté. La deuxième, si à Alexandre la royauté lui vient de sa famille, celle de Diogène lui vient plutôt de Zeus et se réclame d’Héraclès. La troisième, à propos des batailles qu’ils ont vaincues : Alexandre a gagné la guerre contre les Perses et les autres batailles qui se présentent à lui comme des objets extérieurs. Tandis que Diogène a vaincu ses désirs et ses passions, il s’est vaincu lui-même. Au contraire d’Alexandre, il est capable de diriger les autres hommes parce qu’il était d’abord maître de lui-même. Et la dernière, la fortune pourrait arracher l’empire à Alexandre, mais personne ne peut ni pourra retirer à Diogène son empire sur lui-même.
[75] Pierre Hadot. Éloge de Socrate. Éditions Allia. Paris, 2002. P. 39
By the time of the Platonic dialogues Socrates was called atopos, that is, “unclassifiable.’’ What makes him atopos is precisely the fact that he is a “philo-sopher’’ in the etymological sense of the word; that is, he is in love with wisdom. (…) It is in the love of this wisdom, which is foreign to the world, that makes the philosopher a stranger in it. Pierre Hadot. Philosophy as a way of Life: Spiritual Exercises from Socrates to Foucault. Part I. Forms of Life and Forms of Discourse in Ancient Philosophy. Blackwell. Oxford, 1995. Part of this work first published as Exercises spirituels et philosophie antique, Paris 1987. P. 57
[76] « In those anecdotes and aphorism, Diogenes is no more portrayed as a solitary figure uninterested in social life than is Socrates. ». A.A. Long. The Socratic Tradition: Diogenes, Crates, and Hellenistic Ethics. Dans The Cynics. The Cynic Movement in Antiquity and Its Legacy. P. 40
[77] P. Hadot. P.48-49 : Ainsi que l’a remarqué P. Friedländer, cet Éros aux pieds nus évoque aussi l’homme primitif, tel que le décrivent le Protagoras (321 c 5) et la République (272 à 5). Nous sommes ainsi ramenés à la figure de Silène, c’est-à-dire, de l’être purement naturel, de la force primitive, antérieure à la culture et à la civilisation. Il n’est pas indifférent que cette composante fasse partie du complexe portrait de Socrate-Éros. Car elle correspond bien à ce renversement des valeurs que provoque la conscience socratique. Pour celui qui prend souci de son âme, l’essentiel ne se situe pas dans les apparences, dans le costume ou le confort, mais dans la liberté.
[78] Hadot décrit ainsi la situation du philosophe dans-dehors la société, qui répond particulièrement aussi bien à Socrate que aux cyniques: «He knows that the normal, natural state of men should be wisdom, for wisdom is nothing more than the vision of things as they are, the vision of the cosmos as it is in the light of reason, and wisdom is also nothing more than the mode of being and living that should correspond to this vision. But the philosopher also knows that this wisdom is an ideal state, almost inaccessible. For such a man, daily life, as it is organized and lived by other men, must necessarily appears abnormal, like a state of madness, unconsciousness, and ignorance of reality». Et plus tard, Hadot qualifie la radicalité et la pureté du mode de vie cynique parmi toutes les écoles socratiques: « The Cynics, in their refusal of the world of social convention, opt for a total break. On the contrary, others, such as the Skeptics, fully accept social convention, while keeping their inner peace. Others, the Epicureans, for example, attempt to recreate among themselves a daily life that conforms to the ideal of wisdom. Others still, such as the Platonist and the Stoics, strive, at the cost of the greatest difficulties, to live their everyday and even their public lives in a “philosophical” manner. » Pierre Hadot. Philosophy as a way of Life. P. 54-59
[79] C’est le fameux thème noté aussi par Pierre Hadot: « Militat omnis amans. » L’amoureux monte la garde à la porte de l’aimé, passe la nuit à la belle étoile. C’est un mendiant et un soldat. Mais aussi il est fertile en inventions, sorcier, magicien, habile discoureur, parce que l’Amour rend ingénieux. P. Hadot. Éloge de Socrate. P. 47
[80] Par exemple, Diogène Laërce, Vies des philosophes, 6.34
[81] Par exemple, Souvenirs 1.2-6. S. Prince développe plus ce sujet dans Socrates, Antisthenes, and the Cynics. P. 88
[82] « Le devoir impose, à mon avis du moins, d’y demeurer quel que soit le risque encouru, sans mettre dans la balance ni la mort ni rien d’autre, en faisant tout passer avant le déshonneur ». Platon. Apologie de Socrates. 28d. P. 106
[83] Michel Foucault. Le courage de la vérité. Dans Leçon du 14 mars. P. 213-230. Foucault développe dans ces pages le concept de bios kunikos, en tant que vraie vie.
[84] « Mieux vaudrait me servir d’une lyre dissonante et mal accordée, diriger un chœur mal réglé ou me trouver en désaccord ou en opposition avec tout le monde, que de l’être avec moi-même tout seul et de me contredire » Platon. Gorgias, 482b-c.
[85] Diogène Laërce, Vies des philosophes, 6.70-1
[86] Voir Susan Prince dans son article Socrates, Antisthenes, and the Cynics, dans A Companion to Socrates.
[87] Michel Foucault, Le courage de la vérité, dans Leçon 21 mars 1984. P. 275. Plus tard, il dira : « Les coups, les insultes, les humiliations sont pour les cyniques un exercice, et cet exercice a valeur d’entraînement, entraînement à l’endurance physique, entraînement aussi à l’indifférence à l’égard de l’opinion. » et on découvrira « une inflexion intéressante dans l’histoire de l’éthique, comme étant l’occasion d’un retournement, retournement non pas en domination, non pas en force, ne permettant pas une autre forme de maîtrise, mais retournement qui fait que l’insulte donne l’occasion au cynique d’établir un rapport d’affection avec ceux-là même qui lui font mal et, à travers lui, avec le genre humain tout entier. » P. 276
[88] Goulet-Cazé, Marie-Odile. Dans The Cynics. The Cynic Movement in Antiquity and Its Legacy. University of California Press. London, 1996. P. 47-80. L’article original en français se trouve dans Le Cynisme ancien et ses prolongements. P. 117
[89] Diogène Laërce 6.20-21 = V B 2 G. Le dieu lui donne la permission de modifier la loi-monnaie actuelle, en grec τὸ πολιτικὸν νόμισμα, ce qui serait la valorisation politique, ce qui est politiquement acceptée comme valeur et norme. Voir traduction de García Gual, Vida y opiniones de los filósofos ilustres. Alianza Editorial. Madrid 2013.
[90] Ibid. 2.38 « Interrogée par Chéréphon, elle (la Pythie) répondit : de tous les hommes, Socrate est le plus sage. »
[91] Ibid. 7.2 « Ayant consulté l’oracle sur le meilleur genre de vie à suivre, il en reçut pour réponse de prendre les couleurs des morts, et que, comprenant l’énigme, il se mit à lire les anciens. »
[92] Michel Foucault. Le courage de la vérité. Dans Leçon du 21 mars 1984. P. 277. « L’image du missionnaire, du médecin de tous, de l’éclaireur qui donne à tous avis et conseils, l’image du bienfaiteur qui pousse chacun à faire ce qu’il doit faire, c’est cette image qui est quelque chose de nouveau, par rapport à ce qu’on pourrait appeler le prosélytisme ou le militantisme habituel et traditionnel dans les différentes sectes philosophiques de l’Antiquité. »
[93] « Diogène en effet, malgré son individualisme, et sa revendication d’une autarcie absolue, ne fuit pas la cité, comme si la misanthropie cynique avait besoin de contact de la foule. Bien décidé à vivre au milieu de ces hommes dont il s’emploie à dénoncer la folie » Goulet-Cazé. L’ascèse cynique. P. 230
[94] Michel Foucault, Le courage de la vérité. Leçon 21 mars 1984. P. 274
[95] Platon, Apologie de Socrate, 21c-d.
[96] « The goal of such exercises was to help people free themselves from the desires and passions which troubled and harassed them. These needs and desires, it was thought, were imposed on the individual by social conventions and the needs of the body. The goal of philosophy was to eliminate them, so that the individual might come to see things as nature herself sees them, and consequently desire nothing other than that which is natural. If we leave aside for the moment terminological and conceptual differences, we can say that, within each school, philosophy signified the attempt to raise up mankind from individuality and particularity to universality and objectivity ». Pierre Hadot. Philosophy as a way of Life. The View from Above. P. 242
[97] « Le dialogue lui-même en tant qu’événement, en tant qu’activité spirituelle, a déjà été une expérience morale et existentielle. (…) La philosophie réside bien plus dans cet exercice spirituel que dans la construction d’un système. La tâche du dialogue consiste même essentiellement à montrer les limites du langage, l’impossibilité pour le langage de communiquer l’expérience morale et existentielle ». Pierre Hadot. Éloge de Socrate. P.54.
[98] Suzanne Husson. La République de Diogène. P. 83
[99] « Cette humanité si noble, si accomplie, qui fut la sienne, qui ne recherche pas vainement la compagnie de la clique des intellectuelles, mais se sent tout aussi absolue, quel que fût son interlocuteur. Socrate n’a pas de mépris, il ignore la langue de la suffisance. » Kierkegaard: Miettes Philosophiques, p. 45
[100] Diogène Laërce. Vies des Philosophes. 4.43.
[101] Thémistius, Sur l’âme, dans Stobée, Anthologium, III 13, 68. Cité par Goulet-Cazé. Avant-propos « Les cyniques et la falsification de la monnaie », dans Les cyniques grecs. Fragments et témoignages, de Léonce Paquet. P.8
[102] Daniel Desroches. La philosophie comme mode de vie. La figure remarquable de Socrate. P. 117
[103] Goulet-Cazé, Avant-propos « Les cyniques et la falsification de la monnaie » p.9
[104] Michel Foucault. Le Courage de la vérité. Dans Leçon 14 de mars 1984. P. 214.
[105] « Miroir brisé où tout philosophe peut et doit se reconnaître, dans lequel il peut et doit reconnaître l’image même de la philosophie, le reflet de ce qu’elle est et de ce qu’elle devrait être, le reflet de ce qu’il est lui-même et de ce que lui-même voudrait être. Et en même temps, dans ce miroir, il perçoit comme une grimace, une déformation violente, laide, disgracieuse, dans laquelle il ne saurait en aucun cas ni se reconnaître ni reconnaître la philosophie. Tout ceci pour dire, tout simplement, que le cynisme a été perçu, je crois, comme la banalité de la philosophie, mais sa banalité scandaleuse. De la philosophie prise, pratiquée, vêtue dans sa banalité, il a fait un scandale. » Michel Foucault, Le courage de la vérité, dans Leçon du 21 mars 1984. P. 214.
[106] « Qu’il mange de la viande crue, aille nu-pieds, couche sur la dure ou qu’il accable ses interlocuteurs de ses plaisanteries grinçantes et corrosives, le philosophe vise un même effet pédagogique et parénétique. » Goulet-Cazé. L’ascèse cynique. P. 230
[107] Michel Foucault, Le courage de la vérité, dans Leçon du 21 mars 1984. P. 261.
[108] Suzanne Husson. La République de Diogène. P. 68
[109] Ibid. P. 69
[110] Ibid. P. 68
[111] Ibid. p. 83
[112] Idée développée par Susan Prince dans son article Socrates, Antisthenes, and the Cynics, dans A Companion to Socrates.
[113] Ibid. P. 83
«This conception of intellectual activity as toil, exercise, and training of the soul, rather than pursuit of knowledge in itself, illuminates Diogenes Laertius’ famous summary of Antisthenes’ ethical views at Lives of the Philosophers 6.11–12 (VA 134), especially regarding the intellectualism of virtue. » Ibid. P.88
[114] [3] « Ne devrais-tu pas pourtant, Socrate, songer à ton apologie ? » que Socrate lui avait d’abord répondu : « Ne te semble-t-il pas que je m’en suis occupé toute ma vie ? » À quoi Hermogène lui ayant demandé de quelle manière : « En vivant sans commettre la moindre injustice, ce qui est, à mes yeux, le plus beau moyen de me préparer une défense. » Xénophon. Œuvres complètes de Xénophon, tome 1. Apologie de Socrate. Traduction par Eugène Talbot. Hachette, 1859. Platon montre la même attitude de Socrate dans l’Apologie de Socrates, 17b-18a.
[115] Michel Foucault, Le gouvernement de soi et des autres. Cours au Collège de France. 1982-1983. Leçon du 2 mars 1983. P. 286-290.
[116] Michel Foucault. Le courage de la vérité, dans Leçon 15 février 1984. P. 73. et Leçon du 14 mars 1984, P. 215. Foucault signale dans ces pages comment l’exercice de parrêsia de Socrate apparaît dans n’importe quel régime politique. Socrate, dans l’Apologie, montre des exemples de parrêsia en démocratie et aussi en oligarchie (dans l’Athènes sous le gouvernement oligarchique des Trente, à la fin du Ve siècle), toujours disant la vérité et courant le risque de mourir. C’est le courage de la vérité qu’on trouve dans le courage du démocrate ou dans le courage du courtisan, tout les deux en disant – bien à l’Assemblée ou bien au Prince- ce qu’ils pensent, même au risque de mourir. C’est ce que Foucault appelle « bravoure politique du dire-vrai ».
[117] Ibid. Le courage de la vérité, dans Leçon du 1er février 1984. P. 13.
[118] Ibid.
[119] Ibid.
[120] Ibid P. 216
[121] Ibid. P. 217
[122] « Theory is never considered an end in itself; it is clearly and decidedly put in the service of practice » Pierre Hadot, Philosophy as a way of Life. P. 60
[123] Nous trouvons ici un exemple de l’attaque de Lucien contre les cyniques de son temps, et qui démontre la différence avec les cyniques anciens. C’est noté par Marie-Odile Goulet-Cazé dans L’ascèse cynique (P.28). Elle explique comme le thème du raccourci vers la vertu devait peu à peu devenir un véritable slogan que l’on utilisait pour caractériser la méthode éducative des cyniques anciennes. Ce slogan est parodié par Lucien, dans ses Vies à l’encan, lorsqu’il prête a Diogène cette nouvelle description de la voie cynique : « un raccourci vers la renommée » : « Nul besoin d’instruction, de discours, de bavardage : tu as là un raccourci vers la renommée. Même si tu es un homme sans culture, tanneur, marchand de salaisons, charpentier, banquier, rien ne t’empêchera d’être admiré, pourvu que tu affiches impudeur et insolence et que tu aies appris à bien insulter les gens. » Lucien. Portraits de philosophes, 11. Vies des Philosophes à vendre. Portraits de philosophes. Edition Bilingue. Les Belles Lettres. Paris, 2008. P. 175.
[124] « Τήν τ’ ἀρετὴν τῶν ἔργων εἶναι, μήτε λόγων πλείστων δεομένην μήτε μαθημάτων. » Diogène Laërce. Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres. VI, 11.
[125] Socrates, Antisthenes, and the Cynics. P. 76
[126] Ibid. « Aristotle took interest in Antisthenes for his paradoxical views on language and logic: most famously, “It is impossible to contradict” (Metaphysics 1024b; Topics 104b = VA 152, 153), but also “It is impossible to define the essence” (Metaphysics 1043b = VA 150). »
[127] « À ces témoignages, j’ajoute le mien ; car je vois que si, par le défaut d’exercice, on oublie les vers, malgré le secours de la mesure, de même, par un effet de la négligence, on oublie la parole du maître. Or, quand on oublie ces exhortations, on oublie aussi les impressions qui induisent l’âme à désirer la sagesse; et ces impressions oubliées, il n’est pas étonnant qu’on oublie la sagesse elle-même. » Xénophon, Memorables I 2, 21.
[128] Idée développée par M. Sauvage, Socrate et la conscience de l´homme. « Ce n’est pas avoir eu des disciples que de rendre possible après soi une lignée d’intelligences autonomes. (…) A-t-il même eu une doctrine? Le père de la philosophie n’a pas une philosophie, il est plutôt la philosophie même. » P.138
[129] Le rejet par Socrate du développement théorique par opposition à la valeur qu’il donne aux actes, apparaît dans plusieurs témoignages. Par exemple, dans l’Apologie de Socrate de Platon 32a, ou dans les Mémorables de Xénophon, I 2, 21; I 2, 58; et IV 4,5).
[130] « Lorsqu’un moderne se réfère à Socrate, il emprunte moins une opinion qu’il n’évoque une attitude ou invoque un exemple. On est platonicien, cartésien, kantien, on n’est pas ”socratiste”. (…) Socrate n’est pas une certaine somme intellectuelle ou spirituelle, c’est d’abord un personnage sur le théâtre où se joue (comme sur tous les théâtres) la destinée des hommes. » M. Sauvage, Socrate et la conscience de l´homme P. 141
[131] Terme utilisé par Foucault dans une étude sur Démétrius le cynique.
[132] P. 62. Suzanne Husson. La République de Diogène.
[133] Comme souligne Suzanne Husson, la notion de ponos devient centrale pour restituer la cohérence de la pensée diogénienne et son lien avec le socratisme. Le logos à lui seul ne peut rien s’il n’a recours au ponos, l’épreuve pratique, à la fois souffrance et travail, qui nous permet d’affronter personnellement les nécessités de la nature, afin de comprendre quelles en sont les normes. Suzanne Husson. La République de Diogène. P. 9
[134] Ibid. P. 63.
[135] Goulet-Cazé, Avant-propos « Les cyniques et la falsification de la monnaie » p.9
[136] « Socrate se fait une autre idée de la philosophie: elle n’est pas comme une idole dont il serait le gardien, et qu’il devrait mettre en lieu sûr, elle est dans son rapport vivant avec Athènes, dans sa présence absente, dans son obéissance sans respect. Socrate a une manière d’obéir, qui est une manière de résister. » Maurice Merleau-Pony, Éloge de la Philosophie. Gallimard, 1953, pp. 48-53. Cité par Micheline Sauvage, P. 174
[137] Symposium 4.34-44 = VA 82. Cité par Suzanne Prince. Socrates, Antisthenes, and the Cynics P. 87
[138] «Community creates desire for more because the pursuit of power within a community is an infinite quest for more. Since the pursuit is endless, engaging in the competition is a “difficult disease” (4.37), to which the solution is to fix a firm standard for the need for money. Only in formulating this escape from the disease does Antisthenes reduce the pursuit of money to the particular needs money serves, identifying his hunger, thirst, and need for warmth and comfortable sleep as standards for his food, drink, clothing, housing, and bedding (4.37–40). For sex, which apparently occurs as a less predictable need, availability or proximity (to paron) is the criterion for selecting a partner with minimal expenditure of effort or money. (Diogenes would notoriously eliminate even that need for social encounter by practicing masturbation.) » Suzanne Prince. Socrates, Antisthenes, and the Cynics. P. 87
[139] Le sage se suffit à lui-même, car tout ce qui est aux autres lui appartient. «Αὐτάρκη τ’ εἶναι τὸν σοφόν· πάντα γὰρ αὐτοῦ εἶναι τὰ τῶν ἄλλων. » Diogène Laërce. Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres. VI, 11.
[140] Nomisma signifie en plus la « monnaie », mais également tout ce qui est établi par l’usage, la règle ou le nomos.
[141] Suzanne Husson développe cette idée dans le chapitre L’absence de propriété privée, de La République Diogène : « Dans une cité vraiment cynique, l’argent n’aurait pas plus de valeur que les osselets, il doit être laissé à la foule des déments, de la même façon que celle-ci se rit des osselets qu’elle laisse aux enfants. » P.107
[142] Antisthène dira que “les nobles ne sont que les vertueux” (DL VI-11)
[143] « L’époque hellénistique, suspendue aux ambitions démesurées du jeune Alexandre qui faisait découvrir au monde grec les splendeurs de l’Orient, et l’Empire romain, animé d’une soif insatiable de gigantisme, de puissance et de luxe » Marie-Odile Goulet-Cazé, Avant-propos « Les cyniques et la falsification de la monnaie », dans Les cyniques grecs. Fragments et témoignages, de Léonce Paquet. P. 7.
[144] Ibid. P. 8
[145] Platon. Apologie, 17b-18a
[146] Michel Foucault, Le courage de la vérité, dans Leçon du 21 mars 1984. P. 261.
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